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  • Richard Lefrançois
  • Retraité et professeur associé (Université de Sherbrooke, Québec), Sociologue, gérontologue
  • Retraité et professeur associé (Université de Sherbrooke, Québec), Sociologue, gérontologue

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18 juin 2013 2 18 /06 /juin /2013 20:13

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Les femmes françaises vieillissent mieux. Elles sont plus aimées, mieux dans leur peau et donc plus belles que les autres... Ceci n'est pas un flagrant délit d'autosatisfaction, mais le constat du New York Times, qui l'écrit : "S'il y a un secret pour vieillir avec grâce, les Françaises le connaissent." Voilà qui est dit. De Catherine Deneuve à une passante, l'auteur - Ann Morrison, journaliste américaine installée à Paris - ne tarit pas d'éloges sur les plus de 40 ans en France : "Elles semblent défier l'idée selon laquelle, en vieillissant, il faut se cacher derrière du botox, du collagène pour rehausser les paupières ou gonfler les lèvres et toutes sortes de procédés qui donnent un air pathétiquement jeune." Et de résumer (ne boudons pas notre plaisir) : "Être attirante, à tout âge, c'est juste un truc que les Françaises savent faire." Ce talent fou, Ann Morrison l'explique par une façon différente d'appréhender la lutte contre les effets du temps d'un côté et de l'autre de l'Atlantique : "Les Américaines, et moi la première, abordent les soins personnels dans un esprit pratique et d'efficacité, tandis que les french women que je connais voient dans le chouchoutage de leur peau, de leurs cheveux et de leur corps un rituel plaisant et gratifiant."

Et comme, en plus d'être belles, les Françaises sont bonnes copines, elles ont partagé avec Ann Morrison leurs secrets de beauté. Secret numéro un : ne jamais prendre du poids. Selon elle, à chaque fois que les Françaises constatent un kilo supplémentaire sur la balance, elles feront tout ce qui est en leur pouvoir pour faire revenir l'aiguille à son point de départ. Et là encore, elles excellent : car, selon la journaliste du NYT, les femmes françaises considèrent le sport - ou en tout cas les salles de gym - comme une "torture", et se contentent de marcher, beaucoup marcher, y compris avec des stilettos aux talons vertigineux qu'elles baladent comme des pantoufles sur les pavés du Quartier latin. Et si, par malheur, un jour, elles n'ont pas le temps de déambuler boulevard Saint-Germain à la recherche d'une "petite culotte La Perla à 100 euros", "il y aura toujours une pilule, une lotion, une machine ou un traitement pour faire l'affaire". Ah, et encore un petit truc : les Françaises sont addicts aux thalassothérapies, dont l'auteur rappelle qu'elles sont nées en France. Quoi, vous ne vous reconnaissez pas ?

La Sécurité sociale, secret de beauté des Françaises

Ann Morrisson précise pourtant bien qu'elle parle de la "femme française moyenne, celle qui fait ses courses rue du Faubourg Saint-Honoré, qui déjeune tranquillement rive gauche ou qui se promène à travers le jardin du Luxembourg". Ah, on se disait aussi : elle ressemble étrangement à Inès de La Fressange, la Française moyenne... Mais, à en croire la journaliste, il n'y a pas besoin d'être riche pour être Juliette Binoche. Car le secret de beauté le mieux gardé des Frenchies, c'est leur Sécurité sociale : "Certaines femmes sont assez malignes - ou ont des raisons médicales suffisantes - pour se procurer des ordonnances prescrivant des semaines entières dans un spa, ce qui signifie que la Sécurité sociale les rembourse", explique-t-elle. Idem pour les dermatologues, selon la journaliste : certes, les femmes françaises se maquillent légèrement, "mais il est plus facile d'avoir l'air naturel quand on a une super peau". Or, en France, "les rendez-vous chez les dermatologues sont souvent remboursés". Rendez-vous compte !

 

Non contente de nous attaquer sur ce point sensible - la Sécurité sociale -, Ann Morrisson s'appuie sur des chiffres qui font mal à notre porte-monnaie : selon un sondage Mintel datant de 2008, les Françaises dépensent 2 milliards d'euros par an en soins du visage, à peu près autant que les Espagnoles, les Allemandes et les Anglaises réunies. Et elles commencent jeunes : 33 % des Françaises entre 15 et 19 ans utiliseraient des crèmes antirides. N'empêche. Étant plus minces, les Françaises doivent lutter plus durement contre le vieillissement de leur peau, c'est bien connu. Et ce n'est pas parce qu'elles sont plus aimées, par les autres comme par elles-mêmes d'ailleurs, qu'elles sont plus belles, contrairement à ce que conclut Ann Morrison. Non, non. En fait, les Françaises - ou en tout cas celles que la journaliste fréquente - refusent simplement la fatalité qui veut qu'une femme doive, en vieillissant, choisir entre la ride et la fesse.

Auteur: 

source: http://www.lepoint.fr/societe/vieillir-avec-style-une-specialite-so-french-16-07-2010-1215612_23.php

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3 juin 2011 5 03 /06 /juin /2011 16:42

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Au Nord comme au Sud, l’accélération du vieillissement est le nouvel horizon démographique et le cadre de défis colossaux. Pendant que s’accentue le débat sur ses répercussions économiques et sociales, de nombreux retraités et travailleurs âgés subissent les contrecoups des lendemains de récession. Les affranchir de la précarité est une responsabilité étatique et citoyenne aussi primordiale qu’améliorer le sort des personnes âgées dépendantes ou malades.

Je vous invite à lire mon article publié sur le site du mensuel Le monde diplomatique, intitulé Les sociétés vieillissantes changent la face du monde.

http://blog.mondediplo.net/2011-06-03-Les-societes-vieillissantes-changent-la-face-du

 

RL

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25 mai 2011 3 25 /05 /mai /2011 19:03

Le cheveu pousse pigmenté ou blanc. L'apparence grisonnante d'une chevelure n'est en quelque sorte qu'une illusion d'optique, liée au mélange de cheveux colorés et de cheveux blancs. C'est l'expression "avoir les cheveux poivre et sel" qui rend le mieux compte de cette réalité. D'une façon logique, la chevelure paraît de plus en plus grise au fur et à mesure que le pourcentage de cheveux blancs augmente. D'autre part, le cheveu poussant par sa racine, il peut être coloré alors que sa base visible est blanche.
Cela apparaît d'une manière évidente lors de la croissance des cheveux après une coloration.
Le blanchissement des cheveux s'appelle la canitie. C'est un phénomène très complexe dont la première explication est très simple : dès qu'un cheveu n'est plus pigmenté lors de sa conception, il pousse blanc. Certes, mais pourquoi n'est-il plus pigmenté? On a longtemps cru que cela était la conséquence naturelle de l'arrêt de production de mélanine par les mélanocytes. Et puis les chercheurs ont fait une découverte étonnante au sein du bulbe pileux du cheveu blanc : s'il on y trouve en effet des mélanocytes incapables de produire des pigments colorés, il en existe d'autres en parfait état de fonctionnement mais ne parvenant plus à transmettre leur mélanine aux kératinocytes. Aujourd'hui, les raisons de cette interruption de communication entre mélano-cytes et kératinocytes sont encore obscures.

Une autre découverte a ensuite été faite : alors qu'on pensait que les mélanocytes étaient localisés uniquement au fond du bulbe pilaire, on s'est rendu compte qu'il en existait un réservoir situé plus haut dans la gaine épithéliale externe. Ces mélanocytes sont endormis : ils ne produisent pas de pigments. Ce sont certains d'entre eux que le follicule pileux recrute pour repeupler sa partie profonde lorsqu'il commence à se reconstituer à la fin de la phase télogène. Une fois sélectionnés, ces mélanocytes sont réactivés et la production de mélanine reprend. Or, ce réservoir existe encore dans le follicule des cheveux blancs. Cela a conduit à penser que la canitie pouvait être liée à un "déficit de recrutement" dans ce réservoir. Là encore, les processus mis en jeu sont mystérieux.

Cependant, il y a fort à parier qu'en comprenant ces différents mécanismes, il serait possible de s'opposer au blanchissement du cheveu, si on le désire!

Par Catherine Rose   -  Publié le 16 février 2010

Terrafemina

Pour écouter ce qu’en pense le Dr Dr Bruno Bernard qui dirige la recherche sur la biologie de cheveux chez l’Oréal, 

 

RL

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22 janvier 2011 6 22 /01 /janvier /2011 02:54

Richard Lefrançois

Relations, No 714, févr. 2007, p. 10-26.

 

Devant le vieillissement de la population, un populisme de droite nous aiguillonne sur des voies périlleuses plutôt que de réfléchir sur des stratégies rassembleuses et porteuses d'un véritable renouveau social.

 

Récemment, les travailleurs québécois furent la cible privilégiée des «lucides» qui leur reprochaient leur faible productivité. Au nom de la sacro-sainte efficacité économique, ces ténors de la droite ont vite abattu leurs cartes pour proposer de nouvelles mesures d'austérité et des partenariats avec le secteur privé, en s'empressant au passage de lui confier de nouveaux lieux d'expansion.

 

Le champ de prédilection de ces chantres néolibéraux demeure toutefois le vieillissement démographique. Depuis des années, ils s'emploient corps et âme à pourfendre la population âgée, en attendant de s'attaquer à la génération des boomers. Ils brandissent ce spectre n'ayant de cesse de jouer les Cassandre. La liste des scénarios-catastrophes est impressionnante: on anticipe que le vieillissement provoquera une escalade sans précédent des dépenses en santé, une réduction significative du panier de soins, l'effondrement des régimes de retraite, la raréfaction de la main-d'oeuvre, le ralentissement de la croissance économique, la réduction du niveau de vie, un conflit intergénérationnel, une vague conservatrice, une chute importante de la productivité et de la créativité et, pour couronner le tout, l'avènement du pouvoir gris. À l'heure où les besoins en personnel qualifié se font pressants et où les jeunes sont peu nombreux au rendez-vous, ces mêmes «lucides» aimeraient bien que les travailleurs âgés renoncent à quitter prématurément le marché du travail.

Les effets du vieillissement

Faut-il endosser sans broncher ces anticipations accablantes? Sinon, comment réagir aux charges intempestives contre ces boucs émissaires? Et ce, sans tomber dans un discours triomphaliste et rassurant qui voit, par exemple, dans le développement des nouvelles technologies la panacée au problème ou encore qui allègue qu'une démographie vieillissante apporterait plus de paix sociale en ralentissant le rythme de vie devenu trop effréné.

 

Dans le débat actuel sur la vieillesse, force est de reconnaître qu'une lecture dynamique et rafraîchissante des grands vecteurs sociologiques en marche fait cruellement défaut. Ces dernières années, les parcours biographiques des aînés ont été fortement modulés par les transformations sociétales et technologiques. Au fil des ans, ils ont su édifier une «culture de la vieillesse» qui a contribué à renforcer leurs liens et à protéger leurs droits. Leur implication sociale accrue a été bénéfique à toute la collectivité. Conséquemment, pourquoi emprunter le sentier de l'âgisme? En vertu de quel principe nous priverions-nous de leur inestimable apport comme bénévoles, personnes soutien, mentors, dépositaires de notre héritage et gardiens de nos traditions? Ces attributions sont d'autant plus capitales que la société postmoderne lamine les valeurs fondamentales, dissout les repères identitaires, érode les acquis sociaux, se dérobe devant ses responsabilités et abdique face à l'avenir après avoir enterré le passé. Au lieu donc de dénigrer les aînés, ne serait-il pas temps de renforcer leur potentiel, de briser leur isolement en levant les obstacles qui compromettent leur participation citoyenne?

 

En revanche, personne ne contestera que le vieillissement démographique aura un impact sur des secteurs névralgiques, sans pour autant gonfler la colonne des passifs. D'une part, la hausse des coûts en santé sera partiellement compensée par la contribution fiscale des retraités. D'autre part, la prochaine génération de retraités dynamisera de nombreux domaines d'activité économique. Nous assisterons à l'éclosion de nouvelles technologies, à la mise en marché de produits mieux adaptés à cette clientèle et à des services de proximité qui non seulement créeront de l'emploi, mais intensifieront la solidarité de quartier ou de village. On oublie trop souvent que les aînés régularisent et vitalisent l'économie à titre de consommateurs, contribuables, investisseurs, producteurs, pourvoyeurs et donateurs. Des retraités mieux informés, aguerris, autonomes et en santé pendant de longues années représentent un actif indéniable pour la société. Il importe donc d'investir davantage pour préserver le plus longtemps possible leur santé et de les valoriser en reconnaissant leur contribution.

Épouvantail démagogique

Au lieu de cela, les tenants du populisme de droite proposent des conclusions hâtives et conjecturales, assorties de solutions impopulaires et utopiques. Bien que les Québécois paient largement leur part d'impôts et de taxes, on autorise ou prône des hausses de tarifs d'électricité, le dégel des frais de scolarité et l'injection de sommes additionnelles pour accélérer le remboursement de la dette. Des voies qui ne tiennent nullement compte de la vitalité et de la disponibilité des aînés, de la solidité de la solidarité intergénérationnelle, pas plus que de la complexité et de la synergie de l'ensemble des forces sociales. Au contraire, on s'acharne à stigmatiser indûment les travailleurs et les aînés, donc des générations entières.

 

Pratiquer systématiquement la chasse aux boucs émissaires, mettre en opposition des fractions composant le tissu social, sont autant de stratégies risquant de compromettre ou de retarder le progrès social. «Le vieillissement accéléré est un phénomène que d'autres nations ont déjà traité avec audace et courage; qu'on songe aux Pays-Bas et aux pays scandinaves, où la proportion des aînés dépasse depuis belle lurette nos prévisions québécoises pour les 30 prochaines années. Ces nations ont-elles déclaré faillite, sont-elles sclérosées ou en panne de développement? Bien au contraire, elles cherchent à tirer profit de cette nouvelle clientèle, mais aussi à en faire de précieux partenaires sur le plan des services communautaires et de la vie citoyenne» (Jean Carette et Richard Lefrançois, «Halte à l'âgisme manipulateur», Le Devoir, 25 janvier 2006).

 

Les lectures politico-démagogiques évoquées précédemment ne tiennent donc pas la route. Elles nous éloignent d'une pensée sereine convoitant un projet de société novateur qui instaurerait en permanence la paix, la justice et la coopération, et qui serait porteur d'espérance, de direction et de sens pour toutes les générations. Les aînés y seraient perçus comme une ressource vitale et non comme un poids, un fardeau ou un risque. Nous n'atteindrons pas ce monde meilleur en persistant à croire que des sous-groupes particuliers sont responsables de nos malheurs. Nous y parviendrons encore moins en tombant dans le piège du mirage postmoderne, c'est-à-dire le consumérisme débridé, la performance narcissique, l'exaltation illusoire dans les jeux de hasard et l'épanouissement de soi au détriment de la solidarité.

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24 mars 2007 6 24 /03 /mars /2007 19:52

 

Lefrançois,  R.  (2007). Revue québécoise de psychologie. (numéro spécial sur le bonheur).28(1), 183-207.

Le bonheur est quelque chose qui se multiplie quand il se divise. Paulo Coelho   

 

La vie heureuse : une préoccupation sociale impérissable

Pendant longtemps relégué aux oubliettes de la philosophie, le concept de bonheur semble de nos jours refaire surface. À première vue, cette tentative de restauration conceptuelle laisse perplexe. Face au déroutant projet de société de consommation de masse et de sa culture postmoderne, la remise en jeu de ce concept millénaire est peut être symptomatique du sentiment de désarroi qui envahit le monde occidental. Il se pourrait en effet que ce concept fétiche reflète un besoin de renouveau social ou encore exprime une quelconque revendication émancipatrice. Cette interrogation revisitée signifierait dès lors que les Occidentaux éprouvent plus que jamais la nécessité de ranimer des valeurs humaines fondamentales et éternelles, de donner un sens à leur vie en cherchant à s’affranchir du périlleux projet matérialiste. Ou, a contrario, cette réhabilitation du bonheur participerait tout bonnement du procès de marchandisation exacerbée de la civilisation postmoderne. Dans cette dernière hypothèse, le bonheur serait  condamné à n’être qu’une mode, un symbole de plus à «consommer», une idée in et novatrice que la société marchande s’empressera d’exploiter. 

On ne s’en étonnera point. Le monde inquiet, incertain, et à certains égards insensé, dans lequel nous vivons est traversé présentement par de grands bouleversements démographique, technologique, économique et culturel. C’est pourquoi toute méditation sérieuse, toute notion apte à catalyser notre optimisme ou enthousiasme en vue de notre mieux-être, de celui de nos proches ou de nos concitoyens, voire de l'humanité, trouve plus que jamais son utilité et sa nécessité. Ainsi en est-il des concepts porteurs d'espérance, de sens et de liens comme l'amour, l'amitié, la spiritualité, la solidarité, la compassion, la justice et le bonheur.

 Avant d’entrer dans le vif du sujet, signalons que le bonheur a été trop souvent abordé comme s’il n’opérait que dans la mouvance individuelle ou l’intimité relationnelle. En plus de posséder la force médiatique qu’on lui connaît (la preuve, ce numéro), de participer à la construction de l'imaginaire de toute société, l’idéal du bonheur, comme toutes les autres valeurs porteuses de sens, s’avère un véritable analyseur de société, un miroir de nos comportements, donc un précieux laboratoire sociologique. À l'instar de tout autre construit “séminal”, le bonheur (et ses multiples dérivés tels que joie, plaisir, volupté et désir) constitue donc une porte d'entrée privilégiée pour décrypter le monde actuel, et peut-être nous projeter mentalement dans un monde meilleur.

Les notions fortes ayant survécu se dévoilent à travers les traits saillants de toute civilisation (représentations sociales, mentalités), les constructions politiques (idéologies, doctrines) et les cadres sociaux qui cimentent et orientent l’action (p. ex. les institutions, les clivages sociaux). Plus encore, le sens qu’on leur attribue ne fluctue pas uniquement au rythme des époques, des cultures, ou des classes sociales, mais également tout au long du parcours de vie (Easterlin, 2005). Certains estiment que l’expérience du bonheur chez les femmes est différente de celle des hommes. Ainsi cette  réflexion de Jacques Fournier (2203), un organisateur communautaire de Longueuil : 

«Les hommes ont une grande aptitude au bonheur par concentration et les femmes au bonheur par dispersion. Les hommes sont incapables de faire plus d’une chose à la fois. Ils sont concentrés, absorbés par ce qu’ils font. Les femmes ont une capacité à faire mille et une choses à la fois. C’est peut-être pour cela que leurs bonheurs ont de la difficulté à se rejoindre» (p. 225-226).

S’ajoute aussi le fait que certains peuples sont ou ont été plus sensibles que d’autres au bonheur, et conséquemment plus enclins à le cultiver (cf. plus loin des résultats d’enquête à ce propos). Même les neurobiologistes s’en mêlent, comme Jean-Didier Vincent qui raconte que les «systèmes désirants» et les «systèmes de récompense» du cerveau humain secrètent les endorphines, ces petites «molécules du bonheur» (Pigani, 2001). Et pour couronner le tout, on dénombre bien entendu autant d’acceptions du mot bonheur que d’avenues pour y accéder. En définitive, nous avons de bonnes raisons de croire que toute interprétation ou lecture globale du bonheur ne saurait se limiter au seul regard psychologique.

Ceci étant dit, cet article de clôture est animé par les interrogations suivantes : le bonheur est-il, individuellement ou collectivement, un projet de vie et de société viable, accessible et réaliste dans le monde d'aujourd'hui ? Plus concrètement, dans quelle mesure la société postmoderne reconnaît-elle l'importance du bonheur et, si  tel est le cas, comment s'emploie-t-elle à l'appliquer ? Finalement, quelles sont les conditions, stratégies ou pratiques sociales permettant d'accéder au bonheur ?

Un survol dans le temps nous a paru utile, non pas pour capter de façon exhaustive cette notion, mais mettre en perspective ses multiples représentations, dans le but d’éclairer notre compréhension de la postmodernité. Nous sommes bien conscient, ce faisant, des risques encourus : éclectisme, amalgame de points de vue, réductionnisme, portrait caricatural. Néanmoins, la discussion s’engagera sans suggérer au départ une définition du bonheur, l’idée étant de ne pas influencer le lecteur, de lui laisser le soin d'utiliser la sienne qu'il jugera à propos ou non d'ajuster au fil des arguments apportés en cours de route. Il pourra finalement confronter sa position avec les éléments de définition du bonheur exposés en conclusion. Dans cette mini archéologie du bonheur, il y aura lieu de nous demander si les discours qu’ont proposés les anciens et les modernes sur cette thématique se sont dissout dans le creuset de la postmodernité et, si elles ont survécu, quelles significations nouvelles ont émergé.

 

En quête d’un Indice de bonheur brut

Comme mentionné au tout début, le bonheur est une idée et un idéal qui connaît un regain d’intérêt dans l’Occident. En plus des nombreux ouvrages sur le sujet, une revue scientifique s’y consacre spécifiquement, soit le Journal of Happiness Studies éditée aux Pays-Bas, sans compter les numéros spéciaux (p. ex. Bouffard, 1997). Enfin, les études empiriques et sondages, de plus en plus répandus, visant à mesurer ce construit témoignent de cet engouement. Examinons rapidement ce qui se dégage de quelques enquêtes récentes.

À la suite d’une vaste étude internationale, le sociologue Ronald Inglehart a constaté que le niveau de vie représentait un déterminant significatif du sentiment de bien-être. Mais fait étonnant, passé un certain seuil de revenu, au delà de 10 000$ US annuellement environ, un effet de plafond s’observe, l’association entre le revenu et la perception du bien-être tendant à s’estomper (Inglehart, 2004). L’étude qui rassemble  des informations sur plus de 82 pays donne du même coup une crédibilité au dicton populaire voulant que l’argent ne fasse pas le bonheur. Il est en effet significatif qu’un pays peu développé comme Porto-Rico, où le revenu moyen se situe autour de 11 000$ US annuellement, occupe le premier rang sur l’échelle de bonheur utilisée, suivi de près par le Mexique.  Par comparaison, le Canada obtient la neuvième position, précédant les États-Unis qui se retrouve au quatorzième rang, tandis que la France se classe en vingt-sixième position. On notera également que le Mexique s’est classée deuxième sur une question plus spécifique sur le bonheur, le Nigéria obtenant le premier rang. Mentionnons que des résultats semblables ont été obtenus par des chercheurs britanniques (Biswas-Diener, Layton et Tamir, 2004).

Dans un ouvrage récent intitulé Bonheur, travail et sociologie,  Christian Baudelot et Michel Gollac (2003) exposent ce que l’on pourrait qualifier de «modèle d’estimation du bonheur en milieu de travail». Au terme d’une enquête menée auprès des Français, les auteurs débouchent sur les conclusions suivantes. Dans un premier temps, on distingue trois composantes subjectives du rapport au travail : le degré de bonheur, le degré de pression subie et l’individualisation ou le caractère collectif du travail. Fait intéressant à noter, un statut social élevé en milieu de travail, découlant du capital économique et culturel élevé, de l’autonomie et de responsabilités supérieures, engendre un plus grand bonheur mais aussi une souffrance ou une pression accrue due notamment à l’intensification des tâches. L’investissement au travail se traduirait dès lors par une somme nulle. Ensuite, les auteurs constatent que ce sont les mêmes individus qui cumulent les différentes composantes du bonheur au travail. À l’inverse, le même phénomène de cumul s’observe sur «l’échelle de malheur». Faut-il conclure, comme semblent le suggérer ces constatations, que certaines personnes sont plus prédisposées que d’autres au bonheur (ou au malheur) ? 

Si le travail ne conduit pas toujours au bonheur, le chômage occasionne indiscutablement le malheur, d’abord parce qu’il prive l’individu de gratifications essentielles, en l’occurrence la satisfaction de créer ou produire un bien ou un service, la considération des autres, le sentiment d’appartenance à un milieu, la camaraderie, mais aussi en raison des conséquences qui en découlent : diminution du revenu, sentiment d’inutilité, effet délétère sur la vie familiale, comportements de fuite nocives.

Sur le plan collectif, on sait pertinemment que le taux d’inflation, le chômage, le pouvoir d’achat et la croissance économique représentent des indices valables de prospérité en lien étroit avec le concept de bonheur, du moins au sens où on l’entend habituellement. Mais ces indices de prospérité, de croissance économique ou de bien-être sont de plus en plus contestés, étant à porte-à-faux au regard des transformations sociales accélérées que nous connaissons. Comme l’aurait souligné l’ex-président américain John F. Kennedy, le Produit intérieur brut (PIB) mesure tout sauf ce qui fait que la vie vaut la peine d’être vécue, soit l’amour, la beauté et le plaisir. Le progrès ne peut donc pas être qu’une simple courbe exponentielle de croissance (Melenchon, 2003). Certains ont donc proposé de nouveaux outils de mesure, tel l’Indice de bonheur brut (Marthoz, 2005 ; Thouvenot et Boutaud, 2004), qui seraient capables de rendre compte des nouvelles exigences environnementales et sociales actuelles. En plus de la performance économique, de tels indices devraient inclure la protection des ressources naturelles et du milieu physique et humain, l’attention portée à la famille, l’engagement communautaire et l’accès à des services de santé et d’éducation. Nous pourrions facilement allonger cette liste, en ajoutant par exemple des marqueurs du capital santé de la population : le tabagisme, l’obésité, le suicide, la dépression par exemple. On le constate donc, de l’avis de plusieurs que les mesures légendaires de bien-être sociétal sont perçues comme dépassées.

Une autre illustration du souci de renouveau est «l’Indice de développement humain» des Nations Unies qui tient compte du PIB par habitant, de l’espérance de vie et du niveau d’éducation. Les travaux de l’économiste britannique Richard Layard, réunis dans son livre Happiness (2005), et ceux des Américains Kahneman, Krueger, Schkade, Schwarz et Stone (2004), les deux premiers auteurs étant lauréats du prix Nobel d’économie 2002, abondent dans le même sens : celui de fournir un portrait plus précis du bien-être de la population que celui obtenu par le PIB. Un petit pays himalayen comme le Bouthan, enclavé entre l’Inde et la Chine, a fait oeuvre de pionnier en instaurant dès 1972 le concept de Bonheur national brut (BNB), inspiré des préceptes bouddhistes.

On conçoit donc aisément que la notion de bonheur soit suffisamment préoccupante et attirante pour continuer de faire son chemin. Au-delà des efforts visant à créer des indices plus sensibles pour mesurer la qualité de vie ou le bien-être au niveau sociétal, il convient cependant de nous interroger sur le sens et la portée de cette notion. Avant donc d’engager plus à fond la discussion sur les possibilités du bonheur dans le monde postmoderne, un très bref détour dans l’univers des philosophes s’impose.


Le bonheur dans la mire des philosophes

Nous savons pertinemment que le bonheur, c’est la grande affaire des philosophes. Pourtant, ils sont loin de faire consensus quant à sa définition. On les départage souvent  entre ceux qui reconnaissent l’importance du bonheur et ceux qui la dénient. Chez les grands penseurs de l’Antiquité, le bonheur est une notion éminemment centrale, positive, à connotation morale ou religieuse (béatitude) et universelle. Il représente le souverain bien. L’eudémonisme, ou doctrine morale du bonheur, l’associe tantôt à la sagesse du savoir vivre, tantôt à la sérénité de l’âme, ou encore au savoir vivre ensemble. Pour Aristote (tr. 1967), le bonheur est le «bien ultime» (félicité), aboutissement de l’état de plénitude (la contemplation) et de satisfaction totale. C’est la finalité naturelle grâce à laquelle l’homme s’épanouit et se réalise. Cependant, le bonheur comporte à ses yeux une finalité politique universelle : la Cité est l’instance supérieure de moralité qui transcende ce que recherchent les individus (p. 34). Chez Épicure (tr. 1993, pp. 79-81) par contre, l’atteinte du bonheur se découvre dans la simplicité et suppose une ascèse des désirs, un équilibre de l’âme et de l’esprit, alors que chez le stoïcien Sénèque (tr. 1969) sa fonction réside dans la conformité à la vertu (vertus sociales notamment : affabilité, respect d’autrui).

À partir de la Renaissance et surtout des Lumières, la notion de progrès est associée à celle de bonheur. Avec le progrès, prédit Leibniz (tr. 1966), l’humanité sortira progressivement du malheur pour accéder à un plus grand bonheur, tout comme l’histoire passera de l’obscurité à la lumière. Malgré cet optimisme prométhéen, nombreux sont les philosophes de cette période pour qui le bonheur n’est que chimère ou illusion. À commencer par Kant (tr. 1966)  pour qui le bonheur est un concept indéterminé et indéfinissable, un pur idéal de notre imagination. On retrouve ce caractère éphémère, incertain ou lointain du bonheur dans cet extrait de Jean-Jacques Rousseau, le philosophe qui mettait en doute le projet même de la civilisation : «comment peut-on appeler bonheur un état fugitif qui nous laisse encore le cœur inquiet et vide, qui nous fait regretter quelque chose avant, ou désirer encore quelque chose après ?» (1964, 5e promenade). De son côté, Schopenhauer (tr. 2001) ira jusqu’à nier l’expérience même du bonheur. L’homme, soutient-il, ne peut éprouver que la privation, l’ennui et la souffrance. Son but sera donc d’éviter la souffrance (p. 63). Même Pascal (tr. 1976) défendra cette thèse comme l’illustre ce passage : «Nous sommes incapables de ne pas souhaiter la vérité et le bonheur, et sommes incapables et de certitude et de bonheur» (p. 184). Dans la philosophie bouddhiste, on retrouve cette même conviction d’évanescence du bonheur. Ce n’est qu’avec le nirvana (l’illumination), étape suprême de conquête de la paix intérieure par la méditation, que l’homme peut espérer supprimer tous ses désirs.

Freud (tr. 1971) résistera à ce courant de pensée en refusant de renoncer au bonheur, même pour lui si le but de la psychanalyse n’était pas de rendre l’homme heureux mais plutôt moins malheureux.  Ainsi, déclare-t-il, «le programme que nous impose le principe de plaisir, devenir heureux, ne peut être accompli, pourtant, il n'est pas permis, il n'est pas possible d'abandonner nos efforts pour le rapprocher d'une façon ou d'une autre de son accomplissement» (p. 28).

Que faut-il retenir de ce trop rapide tour d’horizon philosophique qui ne peut apporter que des bribes de réponse ? D’abord au constat de la polysémie du mot bonheur, de sa permanence et de l’absence de définition univoque. Selon les époques ou les écoles de pensée, il s’exprime soit dans la sagesse, soit dans la vertu, dans l’adoration ou la foi en Dieu, dans l’exaltation spirituelle, dans la prospérité matérielle, et même dans le détachement, le dénuement et la privation. Il peut même faire l’objet d’un discours pouvant le nier dans son essence même, arguant qu’il est une pure émanation de l’imagination. Voilà qui témoigne pour le moins que l’homme est engagé depuis toujours dans un profond questionnement sur lui-même et son devenir, ce qui signifie qu’il est continuellement en quête de sens et de direction. Ne constate-t-on pas cette préoccupation à travers ses oeuvres techniques ou artistiques, ses gestes de générosité, de solidarité et de compassion, en dépit du fait que ces nobles élans se trouvent souvent assombris par des actes de cruauté, d’injustice et d’indifférence vis-à-vis l’autre ?

En définitive, même si le bonheur s’avérait une utopie ou une création de l’imagination, il n’en constitue pas moins une motivation et une raison essentielles de vivre et de vivre ensemble. Même s’il n’est pas complètement à la portée de l’homme, il s’exprime malgré tout dans un besoin d’accomplissement, dans l’espoir d’un monde meilleur. Le concept de bonheur parvient même à s’imposer chez ceux qui le condamnent sans appel. À force de dénigrer ou de critiquer l’idée du bonheur, Pascal Bruckner (2000) (L’euphorie perpétuelle : essai sur le devoir de bonheur) parvient tout de même à y consacrer un livre entier !

Le second point renvoie au questionnement évoqué plus haut à propos de la  capacité de l’être humain d'accéder au bonheur sous l'impulsion de ses actions.  Il est en effet capital de reconnaître que le bonheur relève de notre volonté et qu'il fait appel à notre liberté. Car s'il fallait s'en tenir strictement au sens étymologique du mot bonheur (en latin, heur = présage), à savoir la “bonne fortune” ou la chance, la discussion serait close. Autrement dit, si le bonheur ne devait être que le fruit du hasard, sa quête serait évidemment superflue.  Or sur cette question, Spinoza (tr. 1966) est d'un précieux secours. En effet, ce philosophe faisait remarquer que l'homme est non seulement un être de désir, mais qu'il est aussi puissance d'agir (p. 81). Autrement dit, si le bonheur n’était qu'une mystification, il n'en constitue pas moins une raison de vivre, le fondement de notre puissance à persévérer dans notre être. Tel était aussi le point de vue de Kant. Jacques Lacarrière (1999) ne voyait-il pas juste quand il indiquait que le bonheur parfait ne s'obtient pas mais qu'il se mérite ? D’où ces efforts pour l’obtenir. Même dans sa plus simple expression, donc à l'état contemplatif, il requiert l'acquiescement spontané de l'évidence du monde.


La béatitude par la voie du progrès : l’ère moderne

On situe habituellement l’ère moderne entre la Révolution française en 1789 et la révolte étudiante de mai 68. À l’origine, il s’agit d’une rupture avec le Moyen-Âge, sous l’impulsion de nombreux bouleversements politiques, économiques, intellectuels et esthétiques (La Renaissance, la Réforme, l’expansion marchande et coloniale, la création de l’État-Nation). C’est le nouveau monde de la technique qui mit fin à la tradition et à l’obscurantisme, en instaurant l’ordre, la raison, et en consacrant les valeurs profanes. En annonçant la mort de Dieu, suivant la célèbre expression de Nietzsche, en s’affranchissant de la tutelle monarchique et en abolissant la croyance au surnaturel, la modernité extirpait pour ainsi dire l’humanité d’une ère enténébrée par l’ignorance (Lefrançois, 2004). Le monde était destiné à ne plus être le lieu du sacré mais à devenir objet de recherche et de connaissance.

Pour Giddens (1994), la fin de l’ère prémoderne consacre la séparation du temps et de l’espace, une confiance accrue dans des systèmes abstraits (p. ex. les transports, l’organisation du travail, les opérations bancaires), mais aussi les risques associés, et l’avènement de la pensée réflexive, c’est-à-dire que la réalité sociale devient objet de connaissance (p.25). On se rend cependant compte qu’il aura fallu du temps pour que se concrétise cette séparation, pour que les chaînes de la tradition se rompent, pour qu’ait lieu la séparation de l’Église et de l’État, pour que la majorité des hommes en viennent progressivement à penser que le bonheur était à rechercher sur terre et non au paradis. 

Dans ce nouvel espace désenchanté, la modernité devait donc être autre chose qu’une rupture : il fallait proposer aux hommes un nouveau projet de société. L’homme moderne, croyant être devenu maître de son destin grâce à la science et à la technique, s’est donc engagé résolument dans la voie du progrès. La révolution industrielle allait promettre le bien-être du genre humain en assurant la croissance économique, en domestiquant la nature et en créant les outils collectifs appropriés tel l’État-providence. Pareil projet s’inscrivait parfaitement dans l’axe de réflexion des utilitaristes anglo-saxons qui, de Bentham (tr. 1982) jusqu’à Mill (tr. 1968), proposaient justement d’étendre le bonheur à toute l’humanité.

On s’est bien rendu compte après coup que l’idéologie de consommation de masse, graduellement mise en place à l’ère moderne, devait aboutir à un état de perpétuelles insatisfactions et frustrations. Obsédé par la conquête du bonheur individuel et avide de plaisirs, l’homo economicus moderne fut un éternel insatisfait. Poètes et intellectuels l’ont pourtant mis en garde, comme l’évoque André Gide (1975, c.1897) : «mon bonheur est d’augmenter celui des autres. J’ai besoin du bonheur de tous pour être heureux (p. 227).  Puis cette pensée du philosophe Gustave Thibon (1976) dans L’équilibre et l’harmonie : le bonheur, «moins on y pense, plus on a de chance de l'obtenir» (p. 12). On retrouve cette idée du bonheur dans la simplicité, l’inattendu et l’étonnement dans cette pièce célèbre de Félix Leclerc, «Le petit bonheur». Encore aujourd’hui, le bonheur n’est-il pas vécu par procuration ou projection, dans le rêve ou les aspirations (p. ex. le succès des vedettes du spectacle, ou celui de sa progéniture), dans la satisfaction de ce que chacun a accompli (p. ex. le bon souvenir d’une réputation, les œuvres, l’héritage laissé aux générations futures) ?

Pour revenir à l’apport de la modernité dans la quête du bonheur, l’histoire nous a laissé des traces de scénarios plutôt sombres. Même si on a prétendu que grâce à la civilisation moderne l’humanité renoncerait au injustices, exactions ou servitudes du passé (p. ex. esclavagisme, guerre), et viendrait à bout des pires atrocités (p. ex. torture), toutes les déclinaisons connues de cruauté ont survécu : génocide, assassinat, violence de tout acabit. «La barbarie, déclarait Alain Finkielkraut (1999), n’est pas la préhistoire de l’humanité mais l’ombre fidèle qui accompagne chacun de ses pas» (p. 132). L’homme a même créé de nouvelles formes d’asservissement et de conditionnement, en tombant dans le piège des idéologies destructrices comme le totalitarisme (ex. le nazisme, l’holocauste), le capitalisme sauvage, le communisme et en utilisant à grande échelle l’arme du terrorisme. Il s’est de la sorte laissé entraîner dans la violence extrême, dans l’exploitation des plus fragiles ou vulnérables, dans les abus de la société de consommation de masse, dans le pillage et le gaspillage des ressources naturelles. Autant d’écueils au bonheur communautaire. Quant aux individus, même s’ils étaient encadrés par le jeu des conventions sociales, ils se voyaient malgré tout confronté à des références multiples, dont certaines avaient survécues (Dieu, l’État, la nature, les idées), des figures qui venaient en concurrence ou en conflit. Fragilisés, ils se sont donc exposés à la névrose (la culpabilité) ou à la révolte.

Comment expliquer cela ? Dans le débat sur le bonheur, où se confrontent le principe de plaisir (le ça, l’individu) et le principe de réalité (le surmoi, la société), pour reprendre cette dichotomie freudienne, s’ajoute un troisième élément troublant : il existe chez l’être humain une forme d’agressivité irrésistible, un penchant à la cruauté, qui peut le mener à s’autodétruire, à le conduire à la folie meurtrière contre soi ou les autres (p. ex. suicide, génocide, perversions). C’est toute la thèse développée par Gérard Mendel (1968). L’histoire toute récente nous fournit encore des illustrations toutes fraîches de tels actes ignobles lesquels, est-il besoin de le souligner, nous éloignent de l’idée du bonheur, collectif ou individuel.


Frénésie du plaisir et nouveaux espaces d’épanouissement : la postmodernité

Si le modernisme consacre l’entrée dans l’ère industrielle et «la fin des méta-récits», pour reprendre la formule de Jean-François Lyotard (1979, p.7), le postmodernisme (et la postmodernité) quant à lui annonce la fin des grandes utopies (Bonny, 2003). Coïncidant avec la période post-industrielle, qui prend naissance vers la fin des années 60 (début des mouvances contre-culturelles) jusqu’à nos jours, la postmodernité est accompagnée des grandes manœuvres que sont la mondialisation des marchés, le néo-libéralisme, les nouvelles technologies (la biogénétique, l’informatique, les communications comme l’Internet, la téléphonie cellulaire, etc.), l’économie sociale, les mouvements sociaux (féministes et écologiques notamment). Le fait est que parallèlement à ces mutations le progrès technique de la nouvelle économie tend à se découpler dangereusement du progrès social. Dans Le choc des civilisations, Huntington (2001) craint que ces bouleversements mènent au «dépérissement des institutions, au suicide culturel, au déclin moral» (p. 458), une conséquence pire d’après lui que le vieillissement démographique, le chômage chronique ou la baisse de la prospérité économique.

Au temps de la modernité, les idéaux progressistes et humanistes pouvaient encore faire fleurir le bonheur ; or ils accusent ici du recul, menacés par le néo-libéralisme, et relayés en même temps par l’émergence d’une nouvelle mentalité individualiste, cool et débridée. Cette ère nouvelle, où plus que jamais règnent en roi et maître le capital et la marchandise, coïncide également avec le refus des antagonismes de classe et le déni des contradictions d’un système omnipuissant. Non, comme le prédisait Keynes (1972), le progrès n’a pas libéré l’homme en l’arrachant des contraintes économiques pour l’amener à vivre de manière sage, agréable et bonne. Il a au contraire creusé le fossé entre les mieux nantis et les plus démunis.  

Contrairement à la situation précédente, dans le monde postmoderne il n’y a plus de figure référentielle qui tienne la route : la distance entre le sujet et l’Autre s’effondre, les liens sociaux sont remis en question. Cette fois c’est l’individu, devenu presque totalement autonome, qui occupe tout le centre de l’échiquier. L’injonction lui est faite d’être d’abord soi, de se réaliser pleinement, de s’accomplir à tous les niveaux. Curieusement, le consumérisme euphorique incarne en apparence une valeur humaniste fondamentale, soit l’être plutôt que l’avoir. Mais en fait croyons-nous, c’est tout ce qui singularise l’individu qui devient objet de consommation. Car dans le gigantesque atelier de la postmodernité, presque tout devient à la fois objet et instrument de plaisir : les biens matériels, la réussite sociale et professionnelle, le pouvoir, l’autorité, la vertu, la méditation, voire le détachement des biens de ce monde. La postmodernité, c’est davantage la consécration de l’objet que celle du sujet, de l’individualisme hédoniste. Du même coup, plusieurs valeurs universelles évoquées au début de ce texte tombent en déclin, démantelées par la mondialisation : l’amour, l’amitié, la solidarité, la compassion, la prospérité pour tous (Latouche, 2000).

Au temps de la modernité, la liberté de choix s’exprimait au sein de cadres précis (le politique, le juridique, l’économie, l’éducation), celle-ci étant subordonnée aux exigences de l’ordre public. C’était aux yeux de certains, chez Marcel de Corte (1973)    par exemple, une résignation de l’individu, ses rêves se trouvant désintégrés dans la société. Ardent défenseur du bonheur individuel, Marcel de Corte a énoncé dans ces termes sa critique du bonheur collectif tel que véhiculé dans les idéaux modernes : «Tout homme mécontent de soi s’évade dans le culte d’une notion collective, ce passage du singulier déficient au collectif compensateur est d’une fréquence extrême» (De Corte, 1973, cf. note). Or, dans le monde postmoderne, nous assistons au procès de personnalisation, à l’exaltation et à l’autonomisation de l’individu, selon les termes qu’utilise Gilles Lipovetsky dans L’ère du vide (1983). Les nouvelles légitimités sociales se dévoilent dans l’accomplissement personnel immédiat, la décontraction, les valeurs hédonistes, l’humour, la sincérité, l’expression libre et une vie sans contrainte. L’homme postmoderne, ou plutôt l’homo psychologicus, précise-t-il, «veut vivre tout de suite, ici et maintenant». Ses réflexes et agissements sont caractérisés par l’indifférence généralisée, la désaffection des grands systèmes de sens et la disparition des tabous.

Comme la postmodernité aplatit l’histoire, le passé perd de l’importance tout comme le futur d’ailleurs. Dans L’instant éternel, Michel Maffesoli (2000) nous parle de l’avènement de «l’aventurier au quotidien», c’est-à-dire de celui qui veut non pas  thésauriser mais bien vivre intensément et au jour le jour, de façon ludique, tribale, compulsive et festive. Dans cette «société de l’expérience» (Grotsch, 2002), l’individu a tout le champ libre pour s’affirmer, s’épanouir, s’exhiber, ce qui lui convient parfaitement puisqu’il tente de trouver son bonheur dans le paraître. Dans le même ordre d’idée, il évitera par-dessus tout le malheur, en refusant la confrontation et en s’éloignant des conflits. Plus que jamais ses contacts sociaux, pourtant l’étoffe de la vie, se banalisent, s’écourtent et s’érodent, perdant du coup leur substance initiale. 

« Absence de bonnes manières, exhibitionnisme, hypersexualisation du corps, étalage disgracieux de sa richesse matérielle, confessions publiques à la télévision, communications personnelles à tue-tête, la vulgarité d'hier a bel et bien basculé du côté de certains idéaux d'aujourd'hui, voire d'un certain conformisme » (St-Jacques, 2002, citant Finkielkraut, p. 15).  Cela se comprend car la postmodernité c’est aussi un nouvel espace d’expression des choix personnels, d’où le déploiement effervescent de genres de vie tous azimuts. Dans ce contexte, on ne s’étonnera pas que les valeurs elles-mêmes soient promues au rang de produits de civilisation.


Des lendemains qui désenchantent

L’avènement de la postmodernité (certains préfèrent le terme d’hypermodernité) signifie-t-il que le bonheur pour tous soit enfin accessible ? Rien n’est moins certain. Nombreux sont les individus qui, par manque d’ancrage ou de repères, s’exposent à éprouver une crise existentielle ou d’identité, et conséquemment à perdre toute énergie constructive, toute résilience. Selon Dufour (2001), «c’est vers une condition subjective définie par un état-limite entre névrose et psychose que se définit désormais l’individu postmoderne, de plus en plus pris entre la mélancolie latente, l’impossibilité de parler à la première personne, l’illusion de toute-puissance et la fuite en avant dans des faux soi» (pp. 16-17).

C’est assurément un grand malheur que de souffrir d’une forme ou l’autre de la maladie mentale, un handicap qui, est-il besoin de le rappeler, prive celui qui en est affecté de ce qu’il a de plus précieux : l’autonomie, la conscience, la mémoire, le libre arbitre. C’est pourtant le lot d’un nombre accru de personnes, socialement exclues ou marginalisées, comme en font foi années après années les statistiques. L’incidence des situations d’exclusion et de dérive, au sens épidémiologique du terme, se reflète également à travers le nombre étonnamment élevé de professionnels ou techniciens chargés de venir en aide aux personnes souffrant de détresse, de dépression, de solitude, d’isolement social ou de dépendances de toutes sortes. Mais ces intervenants opèrent davantage dans la logique du normal/pathologique que du bonheur/malheur.

Comme l’a prétendu Henri Laborit (1976), pour combler le vide ressenti, ou échapper grâce à l’imaginaire aux conditionnements sociaux, bref pour espérer un semblant de bonheur, certains fuiront dans les comportements d’addiction.  C’est ce que manifeste la consommation grandissante de médicaments ou d’adjuvants pour soigner l’angoisse ou les troubles dépressifs (p. ex. le Prozac) ou d’agitation excessive (p. ex. le Ritalin). D’autres préféreront les conduites à risque extrêmes, s’adonneront aux jeux de hasard, s’identifieront à un groupe ou une bande, ou encore confieront leur destin à des médiums et autres prétendus connaisseurs des «arts» divinatoires. La vogue des horoscopes, de la cartomancie, des loteries et des hallucinogènes, ces ersatz ou pilules de bonheur fugace qui se transforment souvent en escroqueries, n’est-elle pas révélatrice du besoin fortement ressenti d’imaginaire, du désir d’échapper à l’emprise étouffante de la société programmée ? La tendance ascensionnelle des suicides, commis ou échoués, ne nous rappelle-t-elle pas cette grande détresse contemporaine. Ce sont autant de signes que le bonheur s’il peut être de ce monde n’est pas forcément pour tout le monde.

Une question nous tenaille depuis longtemps : tout appareil étatique qui contrôle et administre l’industrie du jeu (loterie, casinos), qui en finance les infrastructures et les activités de promotion, à même les deniers publics, a-t-il vraiment à cœur le bonheur de la population ? Comment en effet ne pas s’étonner de l’attrait qu’exercent ces marchands de bonheur, qu’ils soient professionnels (p. ex. Loto-Québec, services de clairvoyance offerts lors d’émissions de TV payantes) ou gourous amateurs, qui proposent de combler un vide existentiel et d’apporter un simulacre de bonheur et de réconfort.

Le mal de vivre de bien des contemporains explique aussi l’engouement actuel pour les nouvelles sectes, la ferveur que connaît la méditation transcendantale et la quête de plus en plus répandue de spiritualité. Ce qui ne signifie pas bien sûr que toute quête de spiritualité émane d’un  sentiment de vide. Au contraire. Mais on dénombre tellement de signes à l’effet que de nombreuses personnes, apparemment libres et sereines, éprouvent au fond une grande solitude et se sentent démunies ou cruellement abandonnées. C’est souvent le cas chez les personnes aînées. C’est pourquoi plusieurs risquent de devenir des proies faciles, des cibles idéales et commodes pour un système puissant comme celui de l’État ou du marché et leur publicité bien huilée et orchestrée. Un système qui, bien entendu, a vite compris que les biens de l’esprit peuvent rapporter autant que ceux pour le corps.

Empruntons un autre sentier. Dans un monde qui valorise l’autonomie, l’avoir et le paraître, la quête du bonheur risque d’être sérieusement entachée par la maladie, la vieillesse, l’entrée en incapacité et l’idée de sa propre fin. Le postmoderne craint donc par-dessus toute chose la souffrance, la décrépitude, la dépendance et la mort. Pour plusieurs, les années qui passent ne sont hélas pas vécues comme une expérience enrichissante ou apaisante mais comme une expérience aliénante et dépossédante. Afin d’éliminer, de différer ou de fuir le malheur appréhendé ou à venir, dont la peur de ne plus exister, l’individu contemporain s’accrochera désespérément au temps présent, en prenant toutes les précautions nécessaires pour minimiser les risques de perte et préserver coûte que coûte son intégrité physique. Les Québécois par exemple n’ont jamais autant possédé de polices d’assurance de toutes sortes. Obsédé donc par la santé parfaite, l’individu s’inquiétera outre mesure ou prendra soin exagérément de sa forme physique, en s’employant à maquiller soigneusement les séquelles que le temps a laissé sur le corps, cela au détriment d’autres besoins ou de la recherche d’un harmonieux équilibre dans ses investissements de vie. D’autres par contre, de plus en plus nombreux, auront recours à divers mécanismes compensatoires et adopteront des comportements de consommation (alimentaire) boulimiques ou anorexiques.     

Il y a lieu de se demander si le bonheur peut être possible sans la compassion, la solidarité ou le souci de l’autre. Or, en partie à cause des médias, nous assistons à une banalisation de la misère du monde, de la détresse et de la souffrance humaine. À force d’être exposé à la mise en scène des drames qui surviennent dans la vie quotidienne, le citoyen finit par devenir insensibilisé, apathique et insouciant face aux tragédies humaines. Il enregistre plutôt une vision troublante et judiciarisée du lien social. Pareillement, il est martelé quotidiennement par une publicité étourdissante et harcelante, par un flot incessant d’images, par le spectacle continu des événements, plus souvent malheureux qu’autrement, qui surviennent dans le monde. Il ne faut donc pas s’étonner que cette massification de l’information ait donné naissance à un sentiment largement répandu d’indifférence vis-à-vis l’autre. C’est peut-être ce qui explique la faible participation à la vie politique chez les jeunes notamment, ou le déclin actuel du bénévolat (sauf chez les aînés).

Un autre signe de cette désertion sociale actuelle est la tendance à vénérer des objets de culte de plus en plus ésotériques. Sans doute est-ce une forme de sublimation, une façon de s’attacher à un idéal quelconque, de projeter ses désirs inassouvis. Dans la postmodernité, les idées elles-mêmes, pourtant sources de bonheur, sont de moins en moins échangées ou débattues en profondeur, tandis que l’analyse critique souffre littéralement d’anémie, étant dépréciée ou en manque d’interlocuteurs. Pas étonnant s’exclamera Henri Madelin (1993), «comprendre son temps demande aussi beaucoup de temps, cette ressource rare des sociétés modernes» (p. 33).

Somme toute, est-ce employer un cliché sans espoir d’écho que d’affirmer que le monde contemporain est devenu si déconcertant et contradictoire. Nos dirigeants ne sont plus à l’écoute de leurs concitoyens, n’entendent plus ce qui constitue une menace à leur bonheur ou à celui des générations futures ; par exemple l’endettement chronique de l’État, les promesses non remplies au chapitre de l’égalité des chances et des conditions de vie, de l’énergie durable et de la protection de l’environnement. Comment cultiver le bonheur dans un monde qui abdique devant ses responsabilités, qui plie l’échine devant ceux qui laminent les valeurs et cherchent à faire voler en éclat les cohésions sociales les plus tenaces ? 


Les sentiers du vrai bonheur

En matière de promesses et de stratégies de bonheur, la mission que s’est donnée la civilisation postmoderne se solde à bien des égards par un échec. Dans Les nouvelles frontières de l’âge (Lefrançois, 2004), nous avons proposé l’expression de «vieillissement sociétal» pour décrire l’état de vétusté et de dégénérescence de la société et de la culture occidentale caractérisé par quatre traits marquants :

«1. l’inaptitude chronique à résoudre des problèmes persistants dans la vie collective, dont des inégalités sociales criantes. Inégalités qui touchent toutes les couches de la société et tous les groupes d’âge et qui se répandent dans le tiers-monde ; 2. l’absence de volonté politique ou de détermination à repousser les véritables menaces pour la survie de l’humanité, celles qui concernent principalement l’environnement physique et les milieux de vie ; 3- le dépérissement des institutions traditionnelles, gardiennes de valeurs fondamentales, et leur assujettissement à l’économie marchande (…) ; 4. l’individualisation à outrance, s’accompagnant de la perte du sens et de l’oubli de l’histoire, de même que le déclin de la cohésion sociale et du sentiment d’appartenance. (pp. 278-279).

Le drame de la postmodernité, galvanisé par ses innombrables «prophètes de bonheur», est de nous avoir subtilisé le spontané, le magique, le rêve, l’extraordinaire, l’inattendu, le désordre des sensations. Les mensonges ont remplacé les songes pour paraphraser Bruckner (2000). Le tragique c’est qu’elle nous a plongés dans un temps suspendu, pour nous inviter à satisfaire nos pulsions narcissiques, nous inciter à la consommation boulimique. Pourtant, «le bonheur n’est pas dans les choses : il arrive au contraire qu’il y étouffe» (Onimus, 1967, cf. note). Le caractère fini d’un bien matériel n’est-il pas dans son essence même source de lassitude, d’atténuation du plaisir ?

Le regard inquiet sur le bonheur avalise finalement les positions défendues par ceux qui mettent en garde contre les abus de la technique et du capital, en plus de conforter ceux qui voient dans la postmodernité non seulement l’agonie de l’Occident mais les germes mêmes de la déshumanisation (Habermas, 2000 ; Ziegler, 2002). Conditionné, subjugué et prisonnier d’un système omnipuissant, comment le citoyen ordinaire peut-il imaginer un projet de société alternatif qui l’assiste dans le déploiement d’un  bonheur libérateur ? Est-ce faire preuve de naïveté que d’espérer voir naître un jour un paradigme sociétal qui privilégierait des valeurs telles que l’entraide, la compassion,  la justice et la vérité, bref un modèle de vie qui hisserait au premier rang le bonheur pour tous ?

Yvan Simonis (1996) invite les intellectuels à relativiser leurs analyses dénonciatrices de la postmodernité, à découvrir dans le chaos apparent les possibilités d’ouverture en direction d’une réhumanisation du monde. Cette thèse peut sembler angélique, mais elle est défendue par bien d’autres, en particulier un économiste de renom, Albert O. Hirschman (1983, 1995). Dans Bonheur privé, action publique, l’auteur soumet que les sociétés oscillent suivant un mouvement cyclique d’alternance entre la turbulence et la tranquillité sociale, laissant voir deux niveaux contrastés d’aspirations : le bien-être collectif ou le bonheur privé. Dans le premier scénario, où l’accent est mis sur la solidarité, dominent l’exercice de la parole citoyenne et la participation sociale ou politique. Dans le second, c’est la satisfaction des désirs individuels et la protection des droits acquis qui priment. Durant les périodes de tourmente, de déception ou de vulnérabilité accrue des privilèges ou des acquis, l’individu serait davantage porté à s’engager socialement, à revendiquer, à militer. En revanche, au cours des périodes d’accalmie et de prospérité, propices donc à l’amélioration des conditions de vie et d’ascension sociale, il aurait plutôt tendance à se replier sur lui-même ou à se réfugier dans la sphère du privé (Hirschman, 1983, pp. 225-226).

Tout ceci pour dire que si la postmodernité comporte son lot d’insuccès et de risque, elle n’en représente pas moins une opportunité de dépassement, puisqu’elle donne une légitimité à la quête de sens et autorise les nouvelles initiatives. Il serait donc vain de renoncer à l’espérance d’un monde meilleur, à une éventuelle résilience sociétale, à une régénérescence des valeurs, sans pour autant fonder tous nos espoirs dans l’espérance. Le programme de la postmodernité se heurte déjà à des résistances considérables. En effet, nombreux sont les indices qu’une mouvance culturelle inédite prend forme et s’installe dans le tourbillon postmoderne, canalisant les énergies qui focalisent sur des valeurs autres que la productivité, le rendement, la performance, l’avoir ou le paraître. Ce qui témoigne qu’une prise de conscience se matérialise au regard de la vacuité des idéaux profanes promues par la société marchande.

Les démarches individuelles visant un bonheur qui ne soit pas superficiel ou calculé s’observent notamment du côté de la quête de spiritualité, de la recherche d’une vie saine et équilibrée, de la pratique sportive, d’une soif de connaissance ou de créativité dans les arts. Défiant les forces écrasantes du projet néolibéral et ses valeurs postmodernes, de plus en plus de personnes ou de mouvements sociaux clament haut et fort une inversion des valeurs et préparent un changement de cap radical.

Du côté de l’action communautaire et humanitaire, la recherche de voies alternatives au bonheur paraît tout aussi encourageante que prometteuse. La jeune génération est davantage soucieuse d’équité, de justice, de coopération et de compassion que celles qui l’ont précédée, leur engagement dans des causes humanitaires, ici ou à l’étranger en faisant foi. Côté protection du milieu naturel, les revendications des mouvements de pression se font plus musclées (p. ex. Green Peace). On exigera par ailleurs plus d’écoute, de transparence et d’éthique de la part de nos dirigeants. On critiquera ouvertement les médias, en réclamant qu’ils exercent une plus grande vigilance critique. Certains militeront en faveur de la décroissance économique, une démarche plus audacieuse et courageuse que le développement durable. La préoccupation accrue d’authenticité et de sensibilité dans nos rapports, le souci d’un lien plus intime et respectueux avec la nature et l’environnement humain, voilà qui suppose un sens élevé de la solidarité et des responsabilités individuelles et collectives. Dans cet après monde postmoderne à construire, comment donc pourrions-nous imaginer que le bonheur pour tous puisse se concrétiser sans faire appel à tout ce qui contribue à préserver notre identité individuelle et notre cohésion sociale ?  Bonheur oblige.

Nous ne saurions bien sûr capter toutes les modalités conduisant à ce bonheur renouvelé. Mais ces gestes concrets sont autant d’indications que l’homme postmoderne recherche de nouvelles sources de sens. Le principal défi de l’humanité sera donc de résister au fatalisme, à la tentation de nier la possibilité du bonheur, en faisant preuve d'ouverture d'esprit, en optant résolument pour une position positive mais prudente. Ce qui ne signifie pas qu’il failler renoncer au progrès : n’en déplaise aux nostalgiques des grandes vérités éternelles et du bonheur perdu, il faut nous faire à l’idée qu’il n’y aura point de retour en arrière, pas plus qu’il faille écarter d’emblée l’éventualité d’une crise majeure de civilisation.

Cependant, l’être humain ne peut indéfiniment se priver de rêves, d’espoir ou de projet, pas plus qu’il ne peut s’empêcher d’envisager un plus grand bonheur. Tôt ou tard, la question du bonheur deviendra, faut-il le souhaiter, un enjeu collectif, planétaire et transdisciplinaire. Somme toute, la postmodernité n’aura été qu’une trêve historique, un tremplin pour pouvoir passer à une autre étape dans le difficile cheminement de l’humanité.

Au terme de cette brève incursion dans le labyrinthe des discours et pratiques sur le bonheur, une question demeure en suspens. Cette valeur représente-t-elle la finalité ultime de l’être humain ? Tout compte fait, dans l’incontournable nécessité de vivre et de vivre ensemble, la poursuite du bonheur, l’amour, la justice, la générosité et la coopération ne forment-ils pas finalement un tout cohérent et indivisible. Si on a dit à propos de la santé qu’elle était le silence des organes, le bonheur ne serait-il pas la voix du coeur qui chante en nous ! Mais n’est-on pas plus heureux lorsque l’on chante en chœur ?  

 

Références 

Aristote (traduction 1967). Éthique à Nicomaque, Paris, Librairie philosophique Vrin, Livre 1, 5.  

Baudelot, C., & Gollac, M. (2003). Travailler pour être heureux ? Paris, Fayard

Bentham, J (traduction 1982). An introduction to the principles of morals and legislation, New York : Methuen, 1982 B 1574 B33I5 1970 

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2 février 2007 5 02 /02 /février /2007 19:58

Lefrançois, R. (2007). Le vieillissement un spectre, Relations, no. 714, février, 14-15.

 

Récemment, les travailleurs québécois furent la cible privilégiée des « lucides » qui leur reprochaient leur faible productivité. Au nom de la sacro-sainte efficacité économique, ces ténors de la droite ont abattu vite leurs cartes pour proposer de nouvelles mesures d’austérité et des partenariats avec le secteur privé, en s’empressant au passage de lui confier de nouveaux lieux d’expansion.

 

Le champ de prédilection de ces chantres néolibéraux demeure toutefois le vieillissement démographique. Depuis des années, ils s’emploient corps et âme à pourfendre la population âgée, en attendant de s’attaquer à la génération des boomers. Ils brandissent ce spectre n’ayant de cesse de jouer les Cassandres. La liste des scénarios-catastrophes est impressionnante : on anticipe que le vieillissement provoquera une escalade sans précédent des dépenses en santé, une réduction significative du panier de soins, l’effondrement des régimes de retraite, la raréfaction de la main-d’œuvre, le ralentissement de la croissance économique, la réduction du niveau de vie, un conflit intergénérationnel, une vague conservatrice, une chute importante de la productivité et de la créativité et, pour couronner le tout, l’avènement du pouvoir gris. À l’heure où les besoins en personnel qualifié se font pressants, et que les jeunes sont peu nombreux au rendez-vous, ces mêmes lucides aimeraient bien que les travailleurs âgés renoncent à quitter prématurément le marché du travail. 

 

Faut-il endosser sans broncher ces anticipations accablantes? Sinon, comment réagir aux charges intempestives contre ces boucs émissaires? Et ce, sans tomber dans un discours triomphaliste et rassurant qui voit, par exemple, dans le développement des nouvelles technologies la panacée au problème ou encore qui allègue qu’une démographie vieillissante apporterait plus de paix sociale en ralentissant le rythme de vie devenu trop effréné.

 

Dans le débat actuel sur la vieillesse, force est de reconnaître qu’une lecture dynamique et rafraîchissante sur les grands vecteurs sociologiques en marche fait cruellement défaut. Ces dernières années, les parcours biographiques des aînés ont été fortement modulés par les transformations sociétales et technologiques. Au fil des ans, ils ont su édifier une « culture de la vieillesse » qui a contribué à renforcer leurs liens et à protéger leurs droits. Leur implication sociale accrue a été bénéfique à toute la collectivité. Conséquemment, pourquoi emprunter le sentier de l’âgisme? En vertu de quel principe nous priverions-nous de leur inestimable apport comme bénévole, personne soutien, mentor, dépositaire de notre héritage et gardien de nos traditions? Ces attributions sont d’autant plus capitales que la société postmoderne lamine les valeurs fondamentales, dissout les repères identitaires, érode les acquis sociaux, se dérobe devant ses responsabilités et abdique face à l’avenir après avoir enterré le passé. Au lieu donc de dénigrer les aînés, ne serait-il pas temps de renforcer leur potentiel, de briser leur isolement en levant les obstacles qui compromettent leur participation citoyenne?

 

En revanche, personne ne contestera que le vieillissement démographique impactera des secteurs névralgiques, sans pour autant gonfler la colonne des passifs. D’une part, la hausse des coûts en santé sera partiellement compensée par la contribution fiscale des retraités. D’autre part, la prochaine génération de retraités dynamisera de nombreux domaines d’activité économique. Nous assisterons à l’éclosion de nouvelles technologies, à la mise en marché de produits mieux adaptés à cette clientèle et à des services de proximité qui non seulement créeront de l’emploi, mais intensifieront la solidarité de quartier ou de village. On oublie trop souvent que les aînés régularisent et vitalisent l’économie à titre de consommateurs, contribuables, investisseurs, producteurs, pourvoyeurs et donateurs. Des retraités mieux informés, aguerris, autonomes et en santé pendant de longues années représentent un actif indéniable pour la société. Il importe donc d’investir davantage pour préserver le plus longtemps possible leur santé et de les valoriser en reconnaissant leur contribution. 

 

Au lieu de cela, les tenants du populisme de droite proposent des conclusions hâtives et conjecturales, assorties de solutions impopulaires et utopiques. Bien que les Québécois paient largement leur part d’impôts et de taxes, on autorise ou prône des hausses de tarifs d’électricité, le dégel des frais de scolarité et l’injection de sommes additionnelles pour accélérer le remboursement de la dette. Loin de réfléchir sur des stratégies rassembleuses et porteuses d’un véritable renouveau social, la « lucidité » néolibérale nous aiguillonne plutôt sur des voies périlleuses. Des voies qui ne tiennent nullement compte de la vitalité et de la disponibilité des aînés, de la solidité de la solidarité intergénérationnelle, pas plus que de la complexité et de la synergie de l’ensemble des forces sociales. Au contraire, ils s’acharnent à stigmatiser indûment les travailleurs et les aînés, donc des générations entières.

 

Pratiquer systématiquement la chasse aux boucs émissaires, mettre en opposition des fractions composant le tissu social, sont autant de stratégies risquant de compromettre ou retarder le progrès social. « Le vieillissement accéléré est un phénomène que d’autres nations ont déjà traité avec audace et courage; qu’on songe aux Pays-Bas et aux pays scandinaves, où la proportion des aînés dépasse depuis belle lurette nos prévisions québécoises pour les 30 prochaines années. Ces nations ont-elles déclaré faillite, sont-elles sclérosées ou en panne de développement? Bien au contraire, elles cherchent à tirer profit de cette nouvelle clientèle, mais aussi à en faire de précieux partenaires sur le plan des services communautaires et de la vie citoyenne. » (Jean Carette et Richard Lefrançois, « Halte à l'âgisme manipulateur », Le Devoir, 25 janvier 2006)

 

Les lectures politico-démagogiques évoquées précédemment ne tiennent donc pas la route. Elles nous éloignent d’une pensée sereine convoitant un projet de société novateur qui instaurerait en permanence la paix, la justice et la coopération, et qui serait porteur d’espérance, de direction et de sens pour toutes les générations. Les aînés y seraient perçus comme une ressource vitale et non comme un poids, un fardeau ou un risque. Nous n’atteindrons pas ce monde meilleur en persistant à croire que des sous-groupes particuliers sont responsables de nos malheurs. Nous y parviendrons encore moins en tombant dans le piège du mirage postmoderne, c’est-à-dire le consumérisme débridé, la performance narcissique, l’exaltation illusoire dans les jeux de hasard et l’épanouissement de soi au détriment de la solidarité.

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11 septembre 2005 7 11 /09 /septembre /2005 01:19

Vie et vieillissement, Vol. 4, no 4, 2005, p. 32-38. -- N° Repère: A654678

 

Richard Lefrançois, PH.D. Professeur associé, Université de Sherbrooke

 

Dans les pays développés, le choc appréhendé du vieillissement démographique continue d'alimenter des débats même si, plus fondamentalement, ce sont les parcours des âges, les itinéraires du vieillir qui se fragmentent, les rapports intergénérationnels et les représentations sociales s'y rattachant, qui sont véritablement au coeur des mutations ou transitions sociétales <note 1>. Ces transitions, véritables analyseurs de notre société et de la dynamique du vieillissement, permettent en partie de comprendre les luttes actuelles pour la reconnaissance sociale, de même que la mouvance dans laquelle se trouvent plongés les différents acteurs engagés dans l'action gérontologique <note 2>.

Considérant la centralité du vieillissement démographique dans la société québécoise, les défis et enjeux en présence, comment expliquer que les différents acteurs concernés perçoivent être si peu reconnus socialement et que nous assistions à tant d'efforts de légitimation? C'est à une lecture partielle, inachevée et parfois subjective, de cette question centrale qu'est consacré ce court article.

Les différents sens de la reconnaissance sociale

D'entrée de jeu, on notera que la notion de reconnaissance est polysémique. Selon Le Petit Robert, elle désigne tantôt la gratitude, la légalité d'une chose, l'identité ou encore un signe de ralliement. Voilà des dimensions qui mettent en piste. En éducation, on fait souvent usage du concept de «reconnaissance des compétences» pour décrire les connaissances et habiletés acquises formellement ou par l'expérience ou pour se démarquer des approches basées sur les qualifications <note 3>. On recourt également à l'expression plus restrictive de «reconnaissance des acquis» pour désigner la validation des apprentissages obtenus au cours d'activités de formation antérieures ou en dehors des milieux d'enseignement formels. Sur le plan académique, la «reconnaissance professionnelle» signifie une forme quelconque d'accréditation en regard d'un programme d'enseignement. Enfin, sous la loupe juridique, elle renvoie à une forme d'agrément assujetti à des règles déontologiques visant la protection du public et les intérêts du groupe concerné.

Je n'énumérerai pas toutes les déclinaisons du construit, d'autant plus qu'il n'y a manifestement pas de consensus sur les définitions. Il sera plutôt fait ici usage de la notion globale de «reconnaissance sociale». Il y a reconnaissance sociale lorsque les représentations identitaires d'appartenance, de valeur ou de mérite, de statut et de rôle des acteurs concernés coïncident avec celles émanant d'une autorité légitime. Suivant une telle interprétation positive, la reconnaissance sociale est la voie royale conduisant à l'intégration sociale, à l'estime de soi et à l'appréciation par la société de l'importance de sa contribution. Dans sa connotation négative, cette appellation renvoie au fait de reconnaître un groupe ou une catégorie sociale pour son handicap, sa vulnérabilité ou sa position indésirable, donc d'y accoler le statut de victime nécessitant une prise en charge.

Revendications et obstacles

S'agissant de la reconnaissance sociale en gérontologie, la première idée qui vient à l'esprit est celle des doléances souvent entendues de la part des intervenants sur le terrain. Que ce soit sous la plume de praticiens ou lors d'échanges dans des colloques sur la formation en gérontologie, on ne peut que s'étonner de l'insistance mise à souligner leur manque de reconnaissance. S'agit-il d'un phénomène aussi manifeste qu'incontestable? Quelles frustrations, insatisfactions, injustices ou attentes légitimes nous permettraient de rendre compte de son évocation récurrente? Faut-il endosser cette velléité de reconnaissance sous peine de cautionner de possibles élans corporatistes au détriment d'enjeux plus fondamentaux sur le vieillissement?

Il n'empêche que la notion de reconnaissance sociale en gérontologie est plus féconde et fédérative qu'en apparence, puisqu'elle renvoie à la pluralité des statuts et rôles accomplis par la constellation des acteurs immédiatement concernés par le vieillissement. Je fais référence ici à l'intervenant professionnel, à l'aidant familial, à la personne aînée, aux éducateurs/formateurs et à la gérontologie comme spécialité ou discipline à vocation académique et

[début de la p. 33 du texte original]

professionnelle. Comme la quête de reconnaissance sociale de ces différents agents obéit à des logiques de positionnement et à des stratégies identitaires distinctes, les récriminations et aspirations exprimées ne sont évidemment pas les mêmes, ce qu'un travail approfondi viendrait enrichir.

S'agissant, par exemple, des intervenants et des éducateurs/formateurs en gérontologie, le déficit perçu de reconnaissance sociale fait-il écho à la précarité de leur statut professionnel ou à une crise identitaire irrécusable qui traduirait l'incurie des employeurs et décideurs? Ou bien, s'agit-il plus concrètement d'un appel au secours reflétant un sentiment d'incompréhension, d'impuissance ou d'épuisement au regard de la «multi-dimensionnalité» des rôles, de la lourdeur des tâches et responsabilités et du manque de ressources qui s'y rattachent? En tout état de cause, la question de la reconnaissance sociale est d'autant plus cruciale qu'elle détermine la motivation, la productivité, le sens des responsabilités et la persévérance «vocationnelle», composantes qui infléchissent, dans un sens ou dans l'autre, la qualité de la relation d'aide ou d'éduquant. Ainsi comprise, la reconnaissance sociale correspond à un idéal porteur du renforcement souhaitable des compétences, toute catégorie d'acteurs confondus.

Au vu des considérations précédentes, une plus grande reconnaissance sociale et professionnelle (p. ex. des compléments de formation) ne ferait pas que rehausser le statut des acteurs concernés, par exemple, celui des intervenants qui déclarent être peu valorisés, surchargés et manquer de ressources. Par osmose, cette reconnaissance stimulerait les autres efforts visant à doter la pratique de modèles d'excellence afin de mieux encadrer les intervenants, à développer des protocoles d'exigences dans l'exercice des différentes attributions et rôles d'aidant, et à consolider les savoirs, les savoir-faire et les savoir-être. Ce serait donc faire fausse route que de dissocier la reconnaissance «socioprofessionnelle» des autres défis de formation ou d'apprentissage.

Cette quête de reconnaissance sociale se heurte toutefois à des obstacles qui, en toile de fond, tiennent aux transformations profondes qui balaient la société québécoise. Dans le cas des enseignants en gérontologie par exemple, on peut supposer que les revendications d'affirmation identitaires (par exemple, la création de départements de gérontologie) soient plus difficiles à définir, à exprimer et être entendues sachant que les milieux de formation (p. ex. les universités) sont peu ouverts au risque ou au changement.

Dans le domaine clinique, plusieurs savoirs et expertises gériatriques se sont développés, il y a déjà quelques décennies, et ont niché à proximité des territoires des champs professionnels constitués, ce qui a provoqué des chevauchements et des tiraillements. Certains y ont vu un immense champ de lutte <note 4>, témoignant du besoin de reconnaissance sociale des spécialités émergentes (nursing gériatrique, psychiatrie gériatrique, service social en gérontologie). Dans les milieux d'intervention, souvent confrontés à des incertitudes, aux prises avec des défis importants ou affairés à d'importants redéploiements d'activité, il peut être tout aussi difficile de se faire entendre. C'est que les urgences ou les préoccupations institutionnelles se situent ailleurs: restructurations administratives ou de réseau, contraintes budgétaires nécessitant des réductions du personnel ou du nombre de lits dans les hôpitaux, virage ambulatoire et nouvelles exigences juridiques ou éthiques de la pratique, notamment.

On pourrait appliquer un raisonnement semblable aux aînés, dans leur dur combat pour la reconnaissance sociale, et ce malgré que de nombreux regroupements et associations contribuent à renforcer leur identité, leur solidarité et à protéger leurs droits. Les actes de reconnaissance tardent à se manifester en dépit de leur indispensable contribution comme bénévole, mentor et agent de transmission des valeurs. Le déni de reconnaissance du rôle social et familial des aînés ou de leurs qualités propres, projeté à travers l'image négative persistante à leur égard, constitue une forme d'âgisme. Il s'exprime par les craintes qu'éveille l'avènement potentiel d'un pouvoir gris, le déferlement anticipé d'une vague de conservatisme, et surtout la menace de déroute du système de santé et des régimes publics de retraite.

On réalise donc toute la complexité de la question de la reconnaissance sociale en gérontologie, d'autant plus qu'elle intéresse et touche plusieurs acteurs. C'est pourquoi je me limiterai maintenant à quelques

[début de la p. 34 du texte original]

réflexions en regard des transitions de société qui interviennent en arrière-plan dans le processus de reconnaissance de la gérontologie: celles d'ordre démographique, épidémiologique, économique, social et culturel.

La transition démographique

Sans entrer dans les détails, en l'espace de 50 ans, la population québécoise des 65 ans et plus a littéralement doublé pour frôler le million, tandis que les naissances ont chuté de moitié, au point où l'indice synthétique de fécondité se situe sous la barre de 1,5 enfant par femme en âge de procréer <note 5>. Ces phénomènes, combinés au fait que nous ne retenons pas suffisamment nos immigrants, expliquent pourquoi les décès devraient excéder les naissances à partir de l'an 2022 <note 6>. Pendant ce temps, l'espérance de vie, avec ou sans incapacité, continue de s'allonger, alors que s'accentuent la féminisation de la vieillesse et que sont sur-représentés les effectifs des tranches d'âge supérieures. Fini donc la revanche des berceaux, place à la revanche des berceuses!

Au vu de ces indicateurs percutants, il n'est pas surprenant que le vieillissement démographique soit devenu si médiatisé. D'un côté, d'aucuns craignent qu'il déclenche un conflit intergénérationnel à la suite des hausses de coûts anticipés dans plusieurs secteurs d'activité. De l'autre, on applaudit l'avènement de la vie longue, active et épanouie. Des débats fusent de toutes parts opposant les alarmistes aux triomphalistes: devant cette prétendue bombe démographique, les premiers fustigent les retraités, tandis que les seconds les portent aux nues. Les tendances démographiques actuelles risquent-elles aussi d'éveiller l'âgisme, forme ultime ou achevée de désaveu et de non-reconnaissance sociale des aînés. Ces tendances démographiques lourdes indiquent clairement la nécessité de recruter un nombre suffisant d'intervenants motivés et qualifiés pour oeuvrer auprès des personnes aînées, que ce soit en santé ou dans les autres secteurs. Or comment attirer ces futurs praticiens alors que ceux présentement en place affirment être débordés, dévalorisés, démotivés et non-reconnus? Dans le même ordre d'idée, comment expliquer le statut de précarité de la gérontologie dans les universités (p. ex. ressources professorales insuffisantes, absence de départements), en dépit du fait que, dans certains établissements, des cours sur le vieillissement sont dispensés dans les trois cycles? N'est-ce pas là une illustration exemplaire de la non-reconnaissance de la gérontologie comme champ disciplinaire, académique et professionnel?

La trajectoire qu'emprunte la démographie actuelle met en évidence un autre principe clé: les bases de l'apprentissage en gérontologie sont appelées à s'élargir pour inclure le vieillissement vu à la fois comme enjeu collectif et comme parcours biographique fortement différencié et caractérisé par la vie longue. Or, nos programmes et activités actuels de formation en gérontologie couvrent-ils adéquatement cette dualité fondamentale? Ne sont-ils pas trop rivés sur le vieillissement pathologique? Où en sommes-nous en ce qui regarde l'interdisciplinarité?

La transition épidémiologique

Grâce à la généralisation des mesures d'hygiène et sanitaires, aux améliorations de la médecine curative, au dépistage des maladies, à la prévention et à la vaccination, nous avons pratiquement mis fin à l'horreur de la mortalité infantile, aux pathologies précoces, aux maladies infectieuses létales et à la famine. Malgré ce progrès, sont apparues les maladies dites de «civilisation», bien que certaines soient maintenant en régression, tandis que de nouvelles inquiétudes ont surgi telle l'obésité. Mais puisque nous traversons la phase finale de la transition démographique, ce sont désormais les maladies dégénératives associées à l'âge avancé, les déficits cognitifs et troubles dépressifs, incluant le suicide, les chutes avec fracture, l'incontinence urinaire, l'ostéoporose et autres maladies du grand âge qui sont devenues les plus préoccupantes.

À première vue, ce profil épidémiologique donne à anticiper un alourdissement de la tâche des intervenants, en raison de la recrudescence des clientèles dépendantes. Mais si la thèse de la compression de la morbidité devait se confirmer, ainsi que l'allègement des incapacités sévères, la période de prise en charge lourde et coûteuse de fin de vie sera écourtée. Ceci n'épargnera pas pour autant l'aidant. Il sera défié par la polymorbidité et par les effets

[début de la p. 35 du texte original]

conjugués de la perte d'autonomie fonctionnelle et de la détresse psychologique. Les grands axes de la formation en gérontologie/gériatrie seront dès lors radicalement transformés et nécessiteront plus que jamais le travail en équipe interdisciplinaire.

Cette réalité épidémiologique se retrouve déjà à nos portes. Une première conséquence de cette phase de transition est d'avoir exacerbé l'image négative des personnes aînées, par simple association aux maladies et à la mort. L'image du vieillard dépendant, décrépit ou grabataire a été du coup renforcée. Bref, en concentrant le phénomène de la maladie, de l'invalidité et de la mort dans la vieillesse, c'est toute la période débutant avec la retraite qui s'est trouvé dévalorisée, même si la plupart du temps ces événements surviennent dans le «quatrième âge».

Sur un autre chantier, les intervenants se sentent désarmés, mal encadrés et peu reconnus, en raison des défis accrus en santé, notamment. Dans le contexte des responsabilités élargies qui leur incombent, n'est-il pas urgent de faire preuve d'une plus grande considération et gratitude à leur égard et de poser des gestes tangibles pour rehausser leur statut? Hélas, c'est souvent la réaction inverse qui fait la manchette: il est déplorable que le rôle d'intervenant auprès des aînés (professionnels, préposés aux soins ou aidants familiaux) ait été entaché par des cas d'abus isolés, montés en épingle par les médias. Pourtant le problème de la maltraitance interpelle la société toute entière. Enfin, comme la politique du maintien à domicile est désormais une priorité, le temps n'est-il pas venu d'alléger davantage le fardeau des aidants familiaux, à la faveur de mesures de répit plus concrètes et soutenues, et de reconnaître leur apport essentiel en leur accordant, par exemple, des crédits d'impôts?

La transition économique

Les trois dernières décennies ont été marquées par l'éclosion de la nouvelle économie et l'extension de l'emprise néolibérale. Nous avons vécu de grands réaménagements et des soubresauts au cours de la période que je qualifie de Trente douloureuses, par contraste avec la précédente dite des Trente glorieuses. L'essor des technologies du numérique, de la génétique, de l'informatique et des communications, les restructurations d'entreprises, la mondialisation des marchés et des capitaux, les déréglementations et les délocalisations ont secoué vivement nos habitudes de vie, ébranlé nos certitudes, et menacé nos acquis sociaux, comme citoyen, travailleur ou consommateur. Les parcours de vie ont été désynchronisés, éclatés, ponctués d'interruptions ou de cessations d'activités professionnelles, forçant parfois des retours aux études. Finalement, la flexibilité du travail, l'exigence de polyvalence professionnelle et la pluriactivité ont réussi à nous imposer leur rythme.

La refonte de l'économie ouvre donc la voie à des formes inédites d'inégalités et de discriminations qui affecteront les futures générations d'aînés. Elles comprendront en effet une fraction non négligeable de laissés-pour-compte, de personnes précarisées et marginalisées par les abus et exactions de la nouvelle économie. Plusieurs quinquagénaires, en situation de vulnérabilité professionnelle, seront littéralement projetés vers la retraite forcée, tandis que d'autres, plus jeunes et exclus socialement, risquent de vieillir dans des conditions de misère et d'isolement. Que l'on pense aux assistés sociaux, aux chômeurs, aux déficients mentaux, aux sans-domicile-fixe, aux toxicomanes, aux joueurs compulsifs et aux «sans-papier».

Étant donné l'abdication quasi absolue de l'État-providence (p. ex. dans le cas de la santé mentale), l'essoufflement de l'économie sociale, l'insuffisance de l'action philanthropique et bénévole, et le fait que certains soins deviendront privatisés, donc financièrement moins accessibles, comment ces personnes à haut risque ou fragilisées parviendront-elles à vieillir dans la dignité, dans des conditions de vie décentes? Comprenons-nous suffisamment les besoins de ces clientèles futures qui risquent d'être oubliées et serons-nous prêts à les assister quand elles avanceront en âge? Dans le discours gérontologique

[début de la p. 36 du texte original]

actuel, la faible préoccupation à l'égard des clientèles de demain, dont les personnes socialement exclues, n'augure-t-elle pas une nouvelle forme d'âgisme se situant dans le prolongement du pauvrisme <note 7>?

En contrepartie, tout porte à croire que l'affluence de la prochaine génération des retraités, majoritairement plus fortunés, dynamisera tout un pan du marché, avec l'arrivée de nouveaux produits et services adaptés à cette clientèle. Parallèlement, ils dynamiseront des secteurs névralgiques en période creuse, tels le tourisme et certains loisirs. Pareillement, la politique du maintien à domicile stimulera le secteur de l'économie résidentielle, en l'occurrence l'architecture, la domotique et les services de proximité. Comme bonus, ces nouveaux modes de vie développeront vraisemblablement la solidarité de quartier ou de village. Finalement, des secteurs comme les transports (p. ex. une ergonomie revue dans la conception des véhicules, la signalisation routière, etc.), la recherche médicale et pharmaceutique seront revigorés.

Il ressort que forcément toutes ces mutations de la bulle économique vont se répercuter sur le plan du travail et de la formation en gérontologie. Si les deux premiers vecteurs de changement, démographique et épidémiologique, solliciteront fortement la gériatrie, l'impact de la transition économique actuelle sur la future génération de retraités accaparera davantage le gérontologue. Ici comme précédemment, une plus grande reconnaissance sociale de l'action gérontologique s'impose.

La transition sociale

Au Québec, la révolution tranquille des années 60 marquait le point de rupture avec la société traditionnelle et soulignait l'entrée dans la modernité. Les réformes ont porté fruit car, comparativement à la génération actuelle des aînés, celle du boom des naissances est plus scolarisée et bénéficie d'une situation financière nettement améliorée. Toutefois, force est d'admettre que le fossé ne cesse de se creuser entre les privilégiés et les démunis <note 8>.

On retiendra que cette cohorte a eu une progéniture moins abondante que la précédente. Nombreux sont les boomers qui ont expérimenté le divorce et décidé par la suite de vivre seul. Par conséquent, le phénomène du vieillissement en solo devrait monter en flèche. Cette prochaine génération de retraités, et les subséquentes, sera également très diversifiée sur le plan social, ethnique, sanitaire et ludique. Certains prolongeront leur vie active au-delà de l'âge de 65 ans ou retourneront carrément sur le marché de la main-d'oeuvre. Et pour la première fois dans l'histoire de l'humanité, les futurs aînés, plus que toute autre génération antérieure, profiteront d'une durée de retraite aussi longue que l'aura été celle de leur vie active.

Quelles seront les répercussions de ces traits émergeants sur l'itinéraire de vie des futurs retraités qui côtoieront jusqu'à deux autres générations d'aînés? Des baby boomers plus instruits et aguerris seront-ils plus exigeants en termes de qualité de soins, incitant du coup les aidants à être plus polyvalents, souples et attentifs à leurs requêtes? Ce formidable bassin de retraités, largement représenté par les femmes, constituera-t-il une sorte d'armée de réserve à mobiliser afin d'épauler les intervenants? Exerceront-ils des activités de bénévolat et surtout accepteront-ils de jouer le rôle de personne-soutien auprès d'un proche ou d'une personne plus âgée qu'eux et en situation de dépendance? Ou au contraire, compte tenu de la réduction de la fratrie et de sa plus grande dispersion spatiale, sans compter l'affaiblissement de l'altruisme, faut-il anticiper une diminution du soutien social disponible et un désintérêt vis-à-vis du rôle d'aidant ou de bénévole?

Si comme on l'a vu la transition économique menace d'amplifier les situations de pauvreté et d'exclusion sociale dans la vieillesse, dans quelle mesure la transition sociale ne risque-t-elle pas à son tour d'exacerber les situations de désaffiliation sociale? Bref, assisterons-nous, dans les années à venir, à une avalanche de personnes déclassées et isolées socialement ou souffrant de solitude-lassitude par opposition à la solitude-plénitude? Comment dès lors adapter la formation en gérontologie à ces redoutables défis? N'est-il pas urgent de déployer des habiletés aptes à consolider des interventions synergiques, transversales et interdisciplinaires, sous peine de faire la démonstration que nous conférons un statut mineur à la noble fonction d'aidant?

[début de la p. 37 du texte original]

La transition culturelle

Par transition culturelle, je fais référence au passage de la modernité à la postmodernité. Notre époque postmoderne, fondée sous le sceau du narcissisme et de la frénésie, est éprise de beauté physique et de jeunesse. Y règnent les attitudes d'indifférence et la désaffection des grands systèmes de sens. Monde obsédé par la santé parfaite, c'est aussi un univers qui cultive les modes et les vedettes, comme on cultive les champignons. C'est également une société qui se proclame démocratique mais qui fourmille de contradictions: par exemple, nous assistons d'un côté à une recrudescence des fraudes, scandales, violences et des corruptions de toutes sortes, indiquant un déclin des valeurs morales. De l'autre, grâce surtout à la surveillance ou à la vigilance des médias, se déploient et se multiplient les enquêtes et injonctions sur des abus divers, pendant que nous réclamons une plus grande imputabilité de la part de nos dirigeants et que nous peaufinons constamment de nouvelles règles éthiques touchant aux droits des personnes.

Il est à se demander si nous n'assistons pas à une réingénierie démagogique sans précédent, confortée par le fait que la postmodernité continue d'aplatir l'histoire et d'opacifier l'avenir. Elle n'a de cesse d'exalter l'individu et de promouvoir sa liberté de choix fondamentale. Conséquence? L'épanouissement de l'individu tend à évincer l'esprit même de la solidarité. Cette période de consumérisme débridé et d'expression de modes de vie tous azimuts comporte donc son lot d'inconvénients. L'individu qui vit dans «l'ici et le maintenant» est en crise d'identité, éprouve une perte de repères et cherche un sens à sa vie, même si toutes les prétendues solutions sont disponibles pour apaiser son angoisse existentielle ou maquiller les ravages physiques du temps.

La postmodernité offre en même temps le spectacle désolant de ce que j'appelle la «progérie sociale», c'est-à-dire des personnes épuisées et usées prématurément dans un environnement physique et humain lui aussi flétri, pillé et dégradé. Par bonheur, les jeunes se sensibilisent de plus en plus à ces effroyables réalités. Se pourrait-il, dès lors, que les liens soudant les générations se détériorent à leur tour, nourris précisément par un tel choc des valeurs? Faut-il voir dans l'affrontement appréhendé entre les générations une catastrophe ou l'heureux événement annonciateur d'un renouveau social <note 10>?

Le jeunisme, de même que l'absence de consensus sur les valeurs, les projets de vie ou de société risquent donc de distendre les rapports d'âge, situations qui confrontent l'intervenant dans sa relation avec le bénéficiaire âgé. Cette distanciation pourrait brouiller l'interprétation des messages ou des besoins exprimés ou ressentis, altérant du même coup la qualité du lien social et de l'assistance. En d'autres termes, avec la rapidité du changement actuel et l'éclosion des nouvelles valeurs, l'intervenant peut difficilement se projeter dans la génération qui s'éteint, pas plus d'ailleurs que dans celle qui s'éveille. Cette non-reconnaissance de l'autre devient donc non-reconnaissance de soi, dans la mesure où chacun n'arrive plus à décoder son propre parcours de vie. Face à ces réalités, il est étonnant que les activités de formation en gérontologie passent sous silence ce trait marquant de civilisation, celui de la postmodernité <note 11>.

Conclusion

Nous ne pouvons manifestement demeurer insensibles aux grandes transformations de société en cours; elles vont tôt ou tard se répercuter sur la formation, l'intervention et également sur la qualité de vie des aînés. C'est pourquoi nous avons intérêt à valoriser davantage l'intervenant et à mieux reconnaître sa contribution sociale. À cet égard, son rôle ne peut être réduit au celui de technicien de l'assistance individualisée. De plus en plus, l'intervenant sera appelé à développer des habiletés pédagogiques et critiques, pour sensibiliser et agir comme chien de garde face aux enjeux actuels, puis accompagner dans le difficile parcours de la vieillesse et enfin exercer le rôle de phare sur le plan des valeurs.

Compte tenu de l'allongement du temps de la vieillesse qui se poursuit et des nombreuses transitions sociétales en cours, il paraît plus impératif que jamais d'inventer des politiques et des pratiques adaptées aux transformations que subissent actuellement les fins de vie actives et les fins de vie biologiques. S'il importe

[début de la p. 38 du texte original]

d'optimiser la reconnaissance sociale et professionnelle des intervenants et éducateurs, il en va de même de la reconnaissance des aînés dans la société et des disciplines ou sciences qui ont pour objet d'étude le vieillissement.

Devant l'acuité des bouleversements que nous subissons, une reconnaissance sociale accrue des gérontologues et des aînés s'impose, ceux-ci étant conviés, sans doute plus que toute autre formation sociale, à une réflexion anthropologique sur notre avenir comme collectivité et à une réflexion philosophique sur notre devenir comme être humain. C'est pourquoi la question du vieillissement transcende les frontières des deux cultures académiques et scientifiques qui, jusqu'ici, se sont traditionnellement partagées ce champ pluridisciplinaire: l'intervention gériatrique représentée par les sciences médicales et paramédicales, et les pratiques gérontologiques représentées par les sciences sociales et humaines. Pour illustrer la césure actuelle, deux projets de société ne s'opposent-ils pas présentement, l'un misant sur l'espérance de vie, l'autre sur l'espérance de sens?

Références

<Note 1> J'ai proposé comme métaphore la notion d'Homo senectus pour illustrer tout le poids démographique, social, économique, politique et culturel qu'auront les personnes aînées dans les sociétés sénescentes. Cf. Lefrançois, R. (2004). Les nouvelles frontières de l'âge, Montréal, PUM.

<Note 2> J'emploie le terme de gérontologie au sens large, incluant donc cette spécialité médicale qu'est la gériatrie et les autres champs d'exercices paramédicaux, en plus bien sûr des sciences humaines et sociales et des autres disciplines s'intéressant au vieillissement.

<Note 3> Oiry, E. et A. D'Iribarne (2001). La notion de compétence: continuités et changements par rapport à la notion de qualification, Sociologie du travail, 43 (1), 49-66.

<Note 4> Charles, A. (2004), Grise ou verte la vieillesse? Experts et dernier âge au Québec, 1945-1960? Dans F. Saillant, M. Clément et C. Gaucher, Identités, vulnérabilités, communautés, Montréal, Éditions Nota Bene, pp. 267-282.

<Note 5> Source: Taux de fécondité, selon le groupe d'âge et indices globaux, Québec, 1951-2004. Institut de la statistique du Québec, 30 août 2005.

<Note 6> Institut de la statistique du Québec.

<Note 7> Le pauvrisme désigne le mépris manifesté à l'endroit des chômeurs admissibles à l'aide sociale.

<Note 8> On rappellera que le revenu médian brut des retraités au Québec est de l'ordre de seulement 16.800$ annuellement.

<Note 10> Cf. le texte de Jean Carette, D'un âge à l'autre, Le Devoir, édition du 9 mars 2004.

<Note 11> Lipovetsky, G. (1983), L'ère du vide: essai sur l'individualisme contemporain, Paris, Gallimard. Bonny, Y, (2004), Sociologie du temps présent: modernité avancée ou postmodernité? Paris, Armand Colin.

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11 septembre 2002 3 11 /09 /septembre /2002 01:27

Vie et vieillissement, Vol. 1, no 1, automne 2002, p. 3-8. -- N° Repère: A363507

Richard Lefrançois, Ph.D.

 

Selon une vaste étude allemande complétée récemment, la vieillesse est marquée par trois réalités fondamentales: le déclin des capacités physiques, la poursuite de la croissance personnelle et la perte d’êtres chers ou de contacts sociaux significatifs (Steverink, Westerhof, Bode, & Dittmann, 2001). Cette observation situe bien l’un des principaux axes de la réflexion gérontologique contemporaine. Elle conforte l’idée que lorsque survient une crise ou une épreuve, le défi posé aux personnes vieillissantes consiste à préserver leur capital santé et à conserver un sentiment de cohérence, de continuité et de sens dans leur vie. C’est à l’examen de ces questions, au confluent de l’expérience de la vieillesse, que le Groupe de recherche sur l’actualisation du potentiel des personnes âgées (GRAPPA) a dirigé l’essentiel de sa programmation.

Ce texte liminaire fait d’abord état du contexte dans lequel GRAPPA a élaboré son programme d’études. Il présente également les préoccupations et les idées maîtresses qui se sont dégagées lors de la préparation de l’étude longitudinale. Suit un aperçu des approches, questions de recherche et perspectives d’intervention qui structurent notre démarche. Un exposé sommaire de la programmation complète l’article.

Le contexte

Sous l’impulsion de l’allongement de l’espérance de vie, de la dénatalité, de la crise de l’emploi et de l’abaissement de l’âge de la retraite, les sociétés occidentales subissent depuis plus d’un quart de siècle une métamorphose phénoménale de leur composition d’âge, laquelle tend à se diversifier, à se morceler. Les temps et les activités de la vie paraissent désormais éclatés et désynchronisés (Gaullier, 1999).

L'augmentation de la population âgée, la contraction de la période de vie active et l’étirement du temps de la retraite distinguent les sociétés longévitales des sociétés à accumulation d’êtres humains. Un des traits marquants de la post-modernité est l’avènement de ce que j’appelle Homo Senectus. Cette figure historique est l’aboutissement d’une longue marche à travers les siècles qui permet d’ores et déjà à une majorité d’individus, non seulement d’accéder à la période de vie post-reproductive, mais de voir leur durée d’existence se rapprocher de la longévité maximale (autour de 122 ans) <note 1>.

Or la perspective d’une vie prolongée mais pouvant s’accompagner d’incapacités lourdes est-elle compatible avec l’image projetée de la dignité humaine? Les aînés doivent-ils assumer une part dans la poursuite de leur propre bien-être et celui de leurs concitoyens? Sont-ils toujours perçus comme un bloc monolithique, comme un problème et non un atout pour la société? Voilà autant de questions ou enjeux éthiques à débattre.

Certains indices portent à croire que la visibilité accrue des personnes vieillissantes exacerbe des stéréotypes ancrés et des attitudes négatives à leur endroit. Les attributions de personne dépendante, sénile, rétrograde, sédentaire et consommatrice de soins de santé perdurent, ce qui contribue à les stigmatiser, sinon à les marginaliser. Ayant assimilé ces clichés, certaines personnes âgées seraient même engagées dans un processus de déni, d’abnégation, voire d’auto-exclusion. Le suicide gériatrique est sans doute l’illustration extrême de cette forme de désespoir. Enfin, la dissolution des structures familiales traditionnelles (ex. familles en recomposition) et la dispersion géographique du réseau parental viendraient amplifier cette désinsertion sociale, en développant un sentiment d’inutilité chez les aînés.

Comme l’a signalé Le Bourg (1998), d’aucuns redoutent également que le vieillissement démographique ait pour conséquence de grever les budgets sociaux et, partant, de fissurer le précaire équilibre entre les générations, ne fut-ce qu’au chapitre de la répartition des ressources et des charges excessives assignées à l’ensemble du corps social. Pourtant, certains travaux révèlent le contraire: malgré les appréhensions qu’attise le vieillissement démographique, subsisterait une surprenante solidarité intergénérationnelle, comme le démontrent le rapport Harris aux États-Unis et des études européennes récentes (Jasmin, 1999).

En revanche, l’émergence d’une prise de conscience des possibilités qu’offre la retraite est une heureuse conséquence de cette évolution

[début de la p. 4 du texte original]

anthropologique. Pour la première fois dans l’histoire, l’homme contemporain peut envisager cette période du cycle de vie avec sérénité et optimisme. Il peut mettre à profit ce qu’il a investi ou cumulé au cours de sa vie active, exploiter ses capacités créatives et capitaliser sur un vaste éventail de ressources susceptibles de rehausser sa qualité de vie. Qui plus est, la génération des nouveaux retraités (non seulement la frange la mieux nantie) est aguerrie, mieux renseignée, soucieuse de sa santé et plus revendicatrice que celle qui l’a précédée. Elle représente de ce point de vue un actif inestimable pour la société.

C’est dans la foulée de cette révolution socio-démographique qu’ont été enclenchées les restructurations du système de santé et des services sociaux québécois au cours des quinze dernières années (cf. rapports Rochon, Lavoie-Roux, Côté et Clair). Mais ces réformes demeurent traversées par des contradictions, perceptibles tant dans la rhétorique que dans l’action néo-libérales: tantôt le discours donne sur le versant humaniste (interventions centrées sur l’usager, appel à la solidarité, au partenariat, à la responsabilisation, souci de la dignité de la personne), tantôt sur le versant technobureaucratique (réglementations, reddition de comptes, accent sur l’efficacité et l’efficience). Tous ces changements nécessitent, on le conçoit aisément, des adaptations importantes autant de la part des praticiens des différentes filières du médico-social que de la clientèle âgée elle-même.

Parce que légitimes pour la plupart, force est d’admettre que les restructurations ont été bénéfiques à plusieurs aînés. Que l’on pense à la préservation des milieux de vie naturels, à la promotion de la santé, à la décentralisation, au partenariat entre le communautaire et le réseau étatique, à la consolidation des services de première ligne, aux approches d’intervention par clientèle, à la chirurgie d’un jour. Mais ces améliorations ont-elles pour autant jugulé les inégalités sociales les plus criantes? Des disparités individuelles et régionales subsistent, notamment au regard du revenu, du logement, de l’accessibilité aux soins et des délais d’attente en milieu hospitalier ou d’hébergement. Or malgré les bienfaits de ces réformes et compressions, peut-on proclamer haut la main qu’elles ont véritablement corrigé la situation des plus démunis, cimenté le tissu communautaire et amélioré la qualité de vie des aînés en général? Nous pouvons raisonnablement en douter. En effet, d’autres irritants ont fait surface, tels les coûts non anticipés du maintien à domicile, le manque d’encadrement et de soutien offerts aux aidants familiaux, les brèches dans le filet de sécurité sociale, l’engorgement des salles d’urgence et l’absence de régulation dans le secteur de l’hébergement privé où les risques de négligence et de mauvais traitements, financiers ou autres, demeurent préoccupants. À maints égards, le virage ambulatoire suscite de nombreuses incertitudes, tout en créant des inquiétudes et des frustrations, dans la population âgée notamment.

De surcroît et en dépit de cette conjoncture difficile, les demandes se font pressantes pour redresser le système de dispensation des services (accessibilité et rapidité des soins prodigués, qualité de la prestation), sécuriser et améliorer les milieux de vie et assurer une meilleure protection des droits et des acquis des aînés. Les plaidoyers s’accumulent en faveur du déploiement de stratégies d’intégration sociale et de mécanismes tangibles afin de normaliser la situation des personnes fragiles en vertu de leur condition physique, psychologique, financière, sociale ou de leur appartenance ethnique.

Les solutions de rechange préconisées actuellement pour limiter, circonscrire ou différer l’institutionnalisation paraissent insuffisantes, voire discutables. L’alourdissement de la clientèle âgée, numériquement parlant et en termes de morbidité et d’incapacité, continuera d’imposer un lourd fardeau aux différents acteurs composant le réseau d’intervention de la personne âgée: ceux des secteurs socio-sanitaires et juridiques, les membres de la famille ou les confidents, majoritairement des femmes, et les associations pour personnes âgées. N’est-il pas révélateur à cet égard que les mesures de répit à l’intention des aidants familiaux et les programmes de soutien psychologique offerts aux intervenants professionnels figurent désormais dans le paysage de l’intervention gérontologique?

Bref, cette problématique plurielle donne à penser que l’amélioration ou le maintien de la qualité de vie des aînés paraissent menacés. Plusieurs personnes vulnérables ou en difficulté risquent même d’être laissées pour compte, sans oublier qu’une proportion accrue peut s’attendre à exercer le rôle exigeant de personne-soutien. Cette lecture est corroborée par une étude empirique qui démontre que ce n’est pas la communauté qui prend en charge les aînés mais les aînés eux-mêmes (Clément & Roy, 1992).

[début de la p. 5 du texte original]

Enfin, nonobstant ces éléments contextuels, l’objectif de renforcement du potentiel des aînés est congruent avec les constats des gérontologues et développementalistes les plus avertis. Comme nous le verrons plus loin, plusieurs travaux ont montré que les aînés peuvent continuer à se développer, à faire preuve de créativité, quel que soit leur âge.

Un nouveau créneau à explorer

Plusieurs questions névralgiques découlent de cette mise en situation: comment préserver et améliorer la qualité de vie et le potentiel d’une population vieillissante qui ne cesse de croître et qui, en raison de l’extension de la durée de vie, requiert plus de soins et de soutien? Dans un contexte de pénurie de ressources, comment les personnes âgées qui traversent des périodes difficiles (retraite forcée, maladie invalidante, perte d’un être cher, difficultés financières) parviendront-elles à maintenir une qualité de vie acceptable et à s’épanouir? Bref, devront-elles miser de plus en plus sur leurs propres ressources afin d’assurer leur mieux-être?

La conjoncture socio-historique actuelle et les récents développements en gérontologie invitent à réinterroger la vieillesse. L’action sociale nécessite, estimons-nous, un accompagnement par des travaux de recherche, non seulement pour dépister les facteurs de risque de dépendance, mais localiser les poches de fragilité et d’exclusion, interpeller les politiques sociales, identifier l’aire de compétence des aînés et explorer d’autres avenues d’intervention. Les conditions présentes se prêtent pour ainsi dire au développement d’outils adaptés et de connaissances ciblées afin de repérer, dans un premier temps, les facteurs qui infléchissent, dans un sens ou dans l’autre, le degré de succès du vieillissement. En second lieu, la recherche peut aider à comprendre pourquoi certaines personnes âgées parviennent mieux que d’autres à surmonter les événements de vie critiques, à répertorier les ressources qu’elles mobilisent et qui se révèlent fructueuses.

Favoriser l’autonomisation des personnes âgées, renforcer leurs compétences et les épauler dans la quête d’une plus grande reconnaissance sociale est un projet légitime qu’endossent la plupart des aînés. Ces stratégies forment de puissants leviers pouvant minimiser ou retarder la dépendance, alléger le système de santé et de soutien et favoriser l’épanouissement de la personne. Il ne s’agit pas ici de récuser les pratiques établies ni de pratiquer le culte de l’accomplissement personnel. Au contraire, nous sommes portés à croire que le renforcement du potentiel est à «prioriser» dans l’optique de valoriser des rôles qui soient significatifs pour les aînés et en même temps socialement utiles, de préserver leur qualité de vie, de réduire les coûts du maintien de la santé et finalement de favoriser leur participation et leur intégration sociales (MSSS, 1992).

L’équipe de chercheurs de GRAPPA adhère à cette idée de la primauté d’une vieillesse conquise par opposition à une vieillesse subie ou assistée. La prise en charge par la personne âgée de son propre bien-être (ex. santé) et développement (ex. créativité, engagement social) aura pour effet d’aiguiser son sens de la solidarité et de la responsabilité, d’affermir son sentiment d’identité et d’appartenance communautaire et d’accroître sa satisfaction personnelle. Une telle approche ne signifie pas qu’il faille adopter une attitude contemplative ou de laisser-faire. Des programmes d’information et de sensibilisation, des interventions individuelles ou de groupes misant sur la coopération et les compétences de la personne devront être élaborés, précisément dans le but de renforcer le potentiel de la personne âgée (St-Arnaud, 1998). Ces actions supposent une connaissance des besoins et ressources de personnes de différentes strates d’âge et ayant des parcours différenciés. Il va sans dire, par ailleurs, qu’il serait malavisé de restreindre les efforts en direction du soutien aux aidants naturels, de la protection des droits des aînés, de la fourniture de soins de qualité, de l’assistance à domicile et de la promotion de nouveaux rôles sociaux.

Les préoccupations de recherche et d’intervention

Certains prétendent à tort que l’avancée en âge s’accompagne inéluctablement d’une déperdition des réserves énergétiques, d’un épuisement des ressources personnelles ou sociales, d’où une détérioration progressive de la qualité de vie. Dénonçant de telles allégations, un médecin américain (Williams, 1986) n’a pas hésité à critiquer ses collègues qui déclaraient que certains signes physiologiques, tels le durcissement des artères, la réduction de la fonction rénale ou la posture courbée, pouvaient être attribués au processus du vieillissement normal. Selon lui, ces états de santé ne constituent pas des conséquences incontournables du vieillissement: il conviendrait mieux de définir la vieillesse

[début de la p. 6 du texte original]

à partir des symptômes de maladies pouvant être évitées, guéries, prévenues ou retardées, et de percevoir ces symptômes comme des empreintes laissées par des habitudes de vie malsaines.

En appui à cette idée, plusieurs ont apporté les preuves que le déclin physiologique ne suit pas une courbe monotone croissante en fonction du vieillissement: il fluctue considérablement selon le sexe, les groupes ethniques, les classes sociales, les catégories d’âges, voire les individus appartenant à une même tranche d’âge. Le caractère prétendument universel et irréversible du vieillissement constituerait un mythe.

Dans la vie quotidienne des aînés, vieillir est en fait une réalité antinomique puisqu’il met simultanément en jeu des processus évolutifs et involutifs. D’un côté, s’accentuent la prévalence et les risques de déficits physiques, cognitifs ou sensori-moteurs, de l’autre, s’enrichissent les acquis de la maturité, qu’il s’agisse de l’accumulation du savoir, de la sagesse, de l’expérience et de l’approfondissement du sens de l’existence. La vieillesse est sans doute une période hautement privilégiée de la vie où l’individu peut entrer en contact avec le soi profond et trouver le sens de sa vie. Mais «réussir» ou actualiser son vieillissement requiert des habiletés et des attitudes positives afin de gérer adéquatement les épreuves (la résilience), en minimisant les conséquences des pertes ou des limitations fonctionnelles, tout en capitalisant sur les gains et les ressources disponibles.

Dans son étude longitudinale, GRAPPA n’a pas privilégié une théorie particulière, ni élaboré un corpus d’hypothèses spécifiques. Même si des choix ont été retenus en ce qui regarde les instruments d’observation, l’étude s’est voulue dès le départ un cadre d’exploration ouvert qui autorise une grande diversité d’analyses. Cependant, une attention particulière a été portée aux approches sur le développement de la personne. En parcourant la documentation, plusieurs théories se sont révélées éclairantes, notamment celles qui insistent sur le travail d’adaptation que suscitent les transitions inattendues et les crises. Celles-ci ont le mérite de poser le problème du développement de la personne autrement que par la maturation, les cycles ou les stades. Résumons en quelques mots certaines approches retenues.

Riegel (1979), par exemple, est d’avis que le développement de l’adulte ne s’effectue ni par étape, ni de façon déterministe ou linéaire, mais bien aléatoirement (open-ended), suivant un processus d’interaction continuel entre l’individu et l’environnement (les contingences de la vie quotidiennes). Riegel préconise une approche dialectique du développement où l’homme n’est pas qu’un simple agent passif, mais l’acteur principal de son propre développement.

Bronfenbrenner (1979), de son côté, se représente l’environnement de la personne comme un réseau de structures emboîtées. Les événements qui surviennent, qualifiés de «transitions écologiques», se répercutent dans d’autres sphères d’activité, entraînant d’importantes modifications de rôle. Par ailleurs, précise-t-il, l’impact de ces transitions écologiques est avant tout une question de perception, car ce qui compte c’est ce qui est perçu dans la réalité et non la réalité en soi. Par exemple, l’épreuve du deuil fluctue d’un individu à l’autre selon la signification attribuée à l’événement ou la perception de la personne disparue. Il serait donc erroné d’attacher la même valeur ou importance à un événement semblable vécu par différents individus.

Défenseurs de l’approche transactionnelle, Fiske et Chiriboga (1990) soutiennent que la façon dont les individus expérimentent le passage du temps dépend de la manière de négocier les virages au carrefour des étapes cruciales de la vie. À défaut de «transactions réussies», le cours de l’existence d’un individu et le sens qu’il y attache peuvent basculer dès que survient un événement majeur tel la perte d’un être cher.

De leur côté, Baltes et Baltes (1990) insistent sur la plasticité et les capacités adaptatrices des personnes vieillissantes. La plupart utiliseraient avec succès des stratégies (sélection, optimisation, compensation) pour pallier les pertes ou pour s’ajuster aux événements. La sélection réfère à une réduction du nombre d’activités ou de rôles exercés jusque-là par l’individu, ceux jugés plus importants ou significatifs étant préservés (ex. cesser la pratique de certains sports devenus trop exigeants). L’optimisation renvoie aux efforts pour maximiser les capacités résiduelles en vue de renforcer le potentiel de développement (ex. pratiquer davantage certains gestes difficiles à réaliser). Enfin, la compensation englobe les stratégies concrètes de remplacement (ex. diminuer le rythme d’exécution d’une tâche quelconque) ou les supports externes (ex. utiliser des appuis). Les Baltes ont également constaté que certaines fonctions pouvaient s’améliorer à la faveur d’un entraînement approprié (ex. le raisonnement).

Il semble donc que de plus en plus de chercheurs s’intéressent aux capacités d’adaptation,

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d’autonomisation et de croissance des personnes vieillissantes et non simplement aux stigmates ou aux signes déficitaires (Rowe & Kahn, 1998). Les premières analyses de l’Étude longitudinale québécoise sur le vieillissement confirment qu’une large proportion de personnes âgées sont aptes à relever les défis que suscitent les ruptures ou les épreuves, par substitution de rôles ou d’activités notamment, et parviennent à un niveau d’épanouissement personnel satisfaisant (Lefrançois, Dubé, Leclerc, Hamel, & Gaulin, 2001). Par exemple, plusieurs octogénaires affichent un excellent bilan de santé et présentent une condition physique remarquable. Ils sont exempts de limitations fonctionnelles ou de handicaps et déploient les énergies nécessaires pour conserver leur autonomie et leur vitalité jusqu’à un âge avancé (Perlmutter, Kaplan, & Nyquist, 1990; Baltes & Carstensen, 1996). Certains font preuve d’une étonnante créativité, réussissant même à maintenir une vie productive et à mener à terme des projets d’envergure.

Quiconque côtoie ou observe les personnes âgées est à même de constater que l’insistance sur les pertes de la vieillesse au détriment des gains occulte la réalité. Au même titre, sa description misérabilisante, ou à l’opposé, l’exaltation abusive de ses vertus, sont des discours qui ne résistent pas aux faits. Le vieillissement est fondamentalement traversé par la bipolarité (déclin et croissance), la complexité et la diversité, phénomènes qui nécessitent la prise en compte des expériences de déclin ou de deuil mais aussi des processus élaboratifs conduisant au développement personnel et à la réalisation de soi. Comprendre cette hétérogénéité est une tâche d’autant plus ardue que l’itinéraire de la vieillesse est, par nature, difficile à tracer car il s’inscrit dans un vécu, une expérience singulière, que même l’histoire biographique ne saurait adéquatement refléter.

Parmi nos préoccupations de recherche et d’intervention, mentionnons les questions de recherche suivantes: Quel est l’impact, à court, moyen et long terme, des défis, transitions de vie (ex. retraite, conditions de prise de retraite) et des événements inducteurs de stress et de changements importants (ex. maladie, entrée en incapacité, perte du compagnon de vie) sur la qualité de vie des aînés et l’espérance de vie en bonne santé? En situation de crise ou de transition, quelles sont les composantes de la qualité de vie sont les plus durement touchées? Quelles réorientations de vie ou concessions les événements de vie induisent-ils (ex. réinvestissement dans d’autres projets ou sphères d’activité, préférence pour des interactions sociales réduites mais plus significatives, comportements de fuite)? Les effets secondaires des événements déclencheurs, par exemple les tracas de la vie quotidienne ou le cumul d’autres événements, sont-ils aussi néfastes que le choc de l’événement initial comme tel? Quelle est l’efficacité des ressources individuelles (ex. autonomie psychologique, actualisation du potentiel, mode de vie, scolarité, stratégies d’adaptation) ou sociale (ex. soutien du réseau) face aux événements de vie critiques? Les ressources individuelles ou sociales tendent-elles à s’épuiser ou à être sous-utilisées en fonction de l’âge, de la gravité ou du type d’événement stressant?

En bout de piste, GRAPPA ambitionne de dégager des profils ou trajectoires de vieillissement. Dans cette perspective, il s’inspire du courant qualifié de «gérontologie renouvelée» (Rowe, 1997) ou du «vieillissement réussi» (Rowe & Kahn, 1998), initié d’abord aux États-Unis (cf. la MacArthur Foundation Study), puis popularisé en Europe (cf. l’Institut Max Planck sur le développement humain à Berlin, la Nordic Twin Registries, la Gothenburg Study en Suède et la Groningen Longitudinal Aging Study aux Pays-Bas). Ces études ont fait éclater la dichotomie classique entre le vieillissement normal (sénescence) et le vieillissement pathologique (sénilité). En s’appuyant principalement sur les données de son étude longitudinale, GRAPPA propose de modéliser trois trajectoires différenciées de vieillissement: le vieillissement optimal, le vieillissement habituel et le vieillissement avec défi ou difficultés majeures.

La programmation GRAPPA

Pour examiner les questions énumérées plus haut, GRAPPA a conçu une programmation comportant trois phases: 1) l’élaboration et la validation d’instruments de mesure axés principalement sur l’actualisation de la personne; 2) la réalisation d’une étude longitudinale multi-cohortes visant à modéliser des trajectoires de vieillissement, à jauger l’importance des ressources de l’individu lorsque surviennent des événements de vie stressants (principalement la retraite, le veuvage et l’incapacité fonctionnelle) et enfin à mesurer les impacts de ces événements sur la qualité de vie et l’espérance de vie en bonne santé; 3) l’évaluation des programmes qui tentent d’augmenter ou d’élargir le champ de

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compétences des aînés et la mise sur pied de projets d’intervention orientés vers le renforcement du potentiel ou le développement d’attitudes mentales positives (ex. autogestion de la santé).

Soulignons également que l’étude longitudinale autorise des analyses secondaires et qu’elle se complète par l’ajout de travaux de recherche qualitatifs destinés à approfondir certains aspects pointus. Ces études qualitatives parallèles inscrivent la démarche d’exploration dans le vécu de la personne âgée, autour de thèmes tels que l’actualisation transcendante et le sens à la vie.

La première phase de la programmation est maintenant complétée. Trois outils ont été développés et validés (cf. article de Mélanie Couture et al., dans ce numéro): la Mesure de l’actualisation du potentiel (MAP), la Mesure de l’actualisation spécifique (MAS: l’investissement dans des activités) et le Profil d’actualisation transcendante (PAT).

La seconde phase, actuellement en chantier, comporte la réalisation d’une étude longitudinale. Amorcée en 1997, cette étude prendra fin au début de 2002. Elle sera complétée par une étude de suivi (follow-up study) qui se poursuivra jusqu’en 2007. Des subventions récurrentes pour réaliser l’ensemble du projet ont été obtenues des organismes de financement, soit le Conseil de recherches en sciences humaines, le Fonds pour la formation de chercheurs et l’aide à la recherche et le Conseil québécois de la recherche sociale (devenu le Fonds québécois de la recherche sur la société et la culture).

Enfin, la troisième phase de la programmation, portant sur l’évaluation et l’élaboration de programmes d’intervention, a jusqu’ici fait l’objet de quelques études: une expérimentation sur la perspective future et les buts personnels (Dubé et al., 1999, et aussi son article dans le présent numéro) et l’évaluation d’un programme portant sur l’autonomie et l’actualisation du potentiel chez des patients dans une unité de soins de longue durée (Desrosiers, Gosselin, Leclerc, Gaulin, & Trottier, 2000). L’implantation définitive de cette phase de la programmation devrait se concrétiser au cours des cinq prochaines années.

Pour conclure, mentionnons que l’Étude longitudinale québécoise sur le vieillissement se situe dans le prolongement des grandes études longitudinales menées aux États-Unis, en Europe et, dans une moindre mesure, au Canada (ex. celles de Duke, Baltimore, Seattle, Amsterdam, Groningen, Manitoba, BOLSA, Kansas City, etc.). Elle couronne en quelque sorte les travaux que nous poursuivons depuis plus de 15 ans sur le thème du développement optimal de la personne âgée, via notamment l’actualisation de la personne.

Note

<Note 1> Selon Robine (2001), les taux de mortalité entre 30 et 50 ans n’ont pas changé depuis 20 ans, contrairement à celui des 80 ans et plus qui n’a cessé de chuter. Il note une réduction de la dispersion des durées de vie autour de la moyenne.

Références

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