L’ENTREVUE
Vous êtes un baby-boomer de la toute première vague. Parlez-moi de cette génération.
C'est d'abord une génération qui a connu une période de prospérité beaucoup plus forte que nos parents. On a aussi fait beaucoup moins d'enfants. C'est aussi une période marquée par de nombreuses revendications, comme l'amour libre. On a aussi exploré de nouvelles carrières, en particulier dans les sciences sociales. On a baigné dans cette mouvance de la Révolution tranquille, de l'ouverture sur le monde.
Cette génération arrive à l'âge de la retraite. Quel genre de retraités feront-ils?
Ce sont des gens qui ont travaillé beaucoup, mais dans des conditions relativement faciles pour la plupart. Plusieurs ont rencontré des difficultés importantes, je pense entre autres au nombre de divorces. Mais sur le plan économique, la plupart s'en sont très bien sortis. Plusieurs ont été actifs socialement et tiennent à le demeurer. En même temps, cette génération veut s'offrir des loisirs, voyager, profiter de la vie.
Ce ne sont pas des choses qu'on entend souvent à la consultation sur les conditions de vie des aînés.
Il faut faire une distinction entre le vieillissement de la population et le vieillissement comme expérience individuelle. Dans les deux cas, nous observons une vieillesse à deux vitesses. D'abord, il y a les gens de ma génération, qui ont 60, 65 ou 75 ans, qui sont en bonne santé, qui ont des loisirs, qui consomment, s'engagent et ne coûtent pas cher à l'État en termes de soins. Ensuite, on retrouve ce qu'on pourrait appeler la grande vieillesse, qui survient autour de 75 ans et qui coûte beaucoup plus cher. Elle vient plus tard qu'avant et dure moins longtemps. Ce qui nous porte à croire que ça ne coûtera peut-être pas aussi cher qu'on le pense. Les mécanismes que nous avons mis en place pour permettre aux gens de demeurer à la maison longtemps font en sorte que la période où les personnes âgées ont besoin de soins soutenus est beaucoup plus courte.
Quand on aborde le vieillissement du point de vue de la masse, démographique, on se heurte à la réalité qu'il y en aura de plus en plus avec les boomers qui s'en viennent. Ces dernières années, le discours a changé. On a cessé de voir le vieux comme un grabataire chancelant, mais comme une menace qui pèse sur la société et qui risque de vider les coffres de l'État, les caisses de retraite, etc. Puis il y a l'autre vision qui dit que ça va faire du bien à la société qu'on ralentisse un peu la cadence.
Dans une vingtaine d'années, les retraités compteront pour près du quart de la population québécoise. Quels seront les impacts de cette réalité?
Il va y avoir beaucoup de personnes seules, surtout des femmes, puisqu'elles vivent généralement plus longtemps. Il y aura moins de frères ou de soeurs pour prendre soin des personnes malades, puisqu'ils seront moins nombreux et plus dispersés. Il y aura beaucoup d'immigrants, dont on ne parle pas encore beaucoup. Un autre facteur qui m'inquiète est le nombre de joueurs pathologiques que nous risquons d'avoir parmi les aînés si la tendance actuelle se maintient. Et il y a les gens actifs, en forme, aisés et engagés qui seront beaucoup plus nombreux que maintenant.
Qu'attendez-vous de la consultation sur les conditions de vie des aînés?
D'abord, c'est un bel exercice démocratique. Mais j'ai des inquiétudes face à un ministère des Aînés. Ça apparaît d'abord comme une réponse à quelques considérations politiques. Ma principale crainte, c'est qu'on cristallise le débat entre les aînés et les autres. J'aurais préféré qu'on crée un ministère des Générations. Évidemment, je serais bien content si la consultation corrigeait certaines lacunes du système. Par exemple, en injectant davantage d'argent dans les soins à domicile. Parce qu'il y en aura de plus en plus de personnes âgées qui ne peuvent subvenir à leurs besoins. On a tenu le pari des soins à domicile parce que ça coûtait moins cher, mais les familles n'ont pas pris le relais.
Il y a quand même certaines réalités incontournables reliées à l'âge. La plus frappante pour moi est la réduction de l'espace de vie. On se déplace de moins en moins, en commençant par abandonner la voiture. Même à pied, c'est de plus en plus difficile. Ma mère a 94 ans et mon père, 93. Ils vivent tous les deux dans leur maison. Mais tout s'est réduit autour d'eux. Tous leurs frères et soeurs sont morts. Les amis aussi ont disparu. Leurs besoins de consommation ont diminué.
Le paradoxe, c'est le corollaire positif de la situation: l'enrichissement, la sagesse et l'expérience qui viennent contrebalancer. Betty Friedan disait que la vieillesse est le seul moment où on a le privilège de réfléchir sur le sens de sa vie et le sens de la vie en général. Ce n'est pas à 8 ans qu'on se pose ces questions, ni à 22 ans. C'est quand on a le temps et le recul.